Défaillance d’un capteur de pression d’un groupe électrogène de secours du réacteur 4 de BUGEY

Défaillance-capteur-pression-groupe-électrogène-secours-réacteur4-BUGEY

Le 1er octobre 2012, l’exploitant de la centrale du Bugey a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté portant sur la détection tardive de la défaillance d’un capteur de mesure de pression équipant un groupe électrogène de secours à moteur diesel du réacteur n° 4. Le Réseau "Sortir du nucléaire" a porté plainte.

Le site du Bugey abrite la centrale nucléaire exploitée par EDF dans le département de l’Ain, à 35 km à l’est de Lyon. Cette centrale nucléaire est constituée de 4 réacteurs à eau sous pression d’une puissance de 900 MW chacun.

Les réacteurs à eau pressurisée exploités par EDF sont équipés de deux groupes électrogènes de secours à moteur diesel qui sont utilisés en cas de perte des alimentations électriques normales. Ces groupes électrogènes de secours permettent d’assurer l’alimentation électrique nécessaire au fonctionnement des différents systèmes de sauvegarde. Ces matériels n’étant pas utilisés en fonctionnement normal, l’exploitant réalise des essais périodiques des groupes électrogènes de secours afin de contrôler régulièrement leurs performances.

Le 22 juin 2012, l’exploitant du Bugey a procédé au remplacement d’un capteur de mesure de pression d’un des deux groupes électrogènes de secours à moteur diesel du réacteur n° 4 car il présentait des grippages internes.

Le 26 juillet 2012, l’exploitant a réalisé l’essai périodique de bon fonctionnement de ce groupe électrogène. Au cours de l’essai, le groupe électrogène n’a pas démarré. Les expertises ont permis de déterminer que le dysfonctionnement trouvait son origine dans un défaut de serrage d’une vis lors du remplacement du capteur, réalisé le 22 juin 2012.

Cette défaillance, qui aurait pu avoir des conséquences graves en cas de perte des alimentations électriques normales, a été détectée tardivement parce qu’aucun contrôle n’a été réalisé immédiatement après l’intervention technique du 22 juin. De plus, l’exploitant a tardé à déclarer le problème à l’ASN puisque c’est seulement le 1er octobre, soit plus de deux mois après la découverte de la défaillance, qu’elle a été informée.

Le Réseau "Sortir du nucléaire" a déposé une plainte le 24 avril 2013.

Téléchargez la plainte du réseau Sortir du nucléaire

Défaillance d’un capteur de pression d’un groupe électrogène de secours du réacteur 4

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Audience au tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse

Mercredi 15 mai            15:30
Lieu : Bourg-en-Bresse

15h30 au tribunal de Bourg-en-Bresse.

Audience relative au déchargement de gravats radioactifs par la centrale du Bugey

Le 15 mai à 15h30, sera examinée par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse l’affaire du déchargement de gravats radioactifs par la centrale du Bugey.

Le Réseau "Sortir du nucléaire" vous invite à assister à l’audience et vous donne rendez-vous au tribunal à 15h30, 4 rue du Palais à Bourg-en-Bresse .

Rappel des faits :

Bugey – Déchargement de gravats radioactifs dans une carrière La centrale nucléaire du Bugey est située à 19 kilomètres d’Ambérieu-en-Bugey et à 35 kilomètres à l’est de Lyon. Le site du Bugey abrite notamment un réacteur de la filière graphite-gaz en cours de démantèlement (réacteur n° 1).

Le 9 août 2011, un camion provenant de la centrale nucléaire du Bugey a déchargé des gravats radioactifs dans une carrière utilisée pour stocker des déchets non radioactifs.

Le Parquet de Bourg-en-Bresse a décidé d’engager des poursuites à l’encontre d’EDF et du directeur de la centrale du Bugey. L’audience aura lieu le 15 mai 2013, à 15h30, au tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse.

Pour en savoir plus, consultez notre Juriblog (SDN).

http://groupes.sortirdunucleaire.org/agenda/

 

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Encore un convoi de déchets radioactifs qui traverse Loyettes !

Sortir du nucléaire Bugey était présent le soir du 18 avril 2013 pour assister et dénoncer de nouveau la traversée du pont de Loyettes par un convoi de déchet nucléaire transportant encore un couvercle radioactif. Le rythme actuel semble être d'un couvercle tous les 15 jours.

En 1994, il a été détecté des défauts sur un des couvercle de cuves des réacteurs de Bugey. S'agissant de défauts génériques (c'est à dire communs à tous les couvercles de cuves de réacteurs), EDF a décidé de changer ces couvercles, soit 55 couvercles qui sont des déchets faiblement et moyennement radioactifs. Le premier couvercle (venant de Saint Laurent des Eaux) est arrivé au centre de stockage FMA de Soulaines le 29 juillet 2004.
Fin 2011, il y avait déjà 39 couvercles stockés à Soulaines, et il en restait 16 à la Base Chaude Opérationnelle du Tricastin (13 des réacteurs de 900 MWe et 3 des réacteurs de 1300 MWe), d'après l'inventaire 2012 des déchets radioactifs de l'ANDRA :
http://www.andra.fr/pages/fr/menu1/les-dechets-radioactifs/ou-sont-les-dechets-radioactifs-r-10.html

Nous avons eu connaissance d'un transport en 2012 et récemment de trois autres, ce qui fait qu'il resterait au plus 9 couvercles à transporter de Tricastin à Soulaines.

Ci-dessous, quelques photos faites le soir à Loyettes où nous étions 5 et où nous avons déployé la banderole "Stop Bugey / Le nucléaire c'est fini".

Contrairement au 5 avril, le personnel d'EDF ne nous a pas agressé et les gendarmes ont été courtois. La banderole est donc restée déployée pendant plus d'une heure et nous avons pu discuter avec quelques personnes.

Nous avons aussi informer les familles avec enfants venues voir passer le gros convoi qu'il y a avait un risque à rester près du conteneur (si on est sur le trottoir vers le pont, le conteneur passe très lentement à un même pas un mètre des personnes sur le trottoir. Claude Cassé a pu mesurer la radioactivité avec l'appareil de SDN Bugey (cette fois, il n'a pas été agressé par les gros bras d'EDF), mais je n'ai pas noté la mesure. Il va nous la faire connaître prochainement.

A bientôt et peut-être à dans 15 jours, plus nombreux(ses) encore.
Merci à Next-Up et SDN 26-07 pour l'alerte.

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ACTION SDN BUGEY LOYETTES SAMEDI 13 AVRIL

Une fois par mois, l'association SDN Bugey poursuit des actions de sensibilisation et d'information aux différents ronds points autour de la centrale du Bugey.

Ce samedi matin 13 avril, une petite dizaine de militants occupait le rond point de Loyettes (côté Isère) avec des slogans portant entre autre sur les dangers liés

à la reprise du chantier de ICEDA (future poubelle nucléaire sur le site de la centrale).

Il y a quelques jours, SDN Bugey déposait son second recours au tribunal administratif de Lyon  contre la décision du conseil municipal de St-Vulbas, qui lors du conseil du 6 décembre permettait  la reprise des travaux de l'ICEDA.

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La centrale nucléaire du Bugey vulnérable aux inondations : EDF mise en demeure

Avec trois incidents relevés en fin d’année 2012 et notamment une fuite de tritium on savait déjà la sécurité du site perfectible. On sait désormais qu’en cas d’inondation, certains bâtiments de la centrale nucléaire du Bugey ne sont pas suffisamment protégés.

Par Jérémy El Mlaka et Laurent Burlet

Le 19 février 2013, l’Autorité du sûreté nucléaire (ASN) a mis EDF en demeure de réaliser des travaux pour limiter le risque d’infiltration d’eau dans ses installations situées sur la commune de Saint-Vulbas (Ain). La proximité de plusieurs courts d’eau (le Rhône, l’Ain, le Fier) et de barrages anciens, renforçant les risques d’inondation.

C’est ce qu’à découvert il y a une dizaine de jours, Bernard Laponche, physicien et membre du parti Europe Ecologie/Les Verts (EELV), sur le site Internet de l’ASN. On peut lire :

« EDF est mise en demeure de réaliser d’ici au 15 mai 2013 les travaux permettant de protéger le bâtiment combustible du réacteur n°5 et le local diesel de la voie B du réacteur n°3 de la centrale nucléaire du Bugey vis-à-vis du risque d’inondation externe induite par un séisme ».

Des travaux qui devaient être effectués avant le 31 décembre

Ces travaux, EDF aurait dû les effectuer avant le 31 décembre 2012, déjà sur injonction de l’ASN, comme l’a expliqué au Dauphiné Libéré Grégoire Deyirmendjian, chef de la division régionale Rhône-Alpes de l’Autorité de sûreté nucléaire  :

« C’est la première fois qu’une échéance de prescription n’est pas respectée. Au lendemain du 15 mai, l’ASN sera sur place pour vérifier la réalisation des travaux ».

EDF dément faire de l’obstruction et assure avoir déposé un dossier à l’ASN pour effectuer ces travaux qui impliquent une modification de l’installation.

Lors de l’examen des centrales françaises, suite à l’accident nucléaire de Fukushima, l’ASN s’était déclarée favorable à la poursuite de l’exploitation du réacteur n°2 de la centrale pour 10 ans supplémentaires. Tout en assortissant cette poursuite de la réalisation de certains travaux destinés à améliorer la sécurité du site.

Dans un communiqué, le parti EELV a fait part de son indignation :

« La discrétion observée sur une information de cette importance montre une fois de plus la volonté d’EDF de tenir le public à l’écart des réels risques liés au nucléaire. (…) Or elle n’a toujours pas engagé les travaux de mise en sécurité indispensables dans ses centrales vieillissantes. »

Bugey : la deuxième plus vieille centrale française

Les réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey sont en fonction depuis plus 30 ans, ce qui fait d’elle la 2ème plus vieille centrale française, juste après Fessenheim. Pour l’ONG Greenpeace, mobilisée pour une fermeture pure et simple de la centrale, les risques d’inondation ne sont pas négligeables et le barrage de Vouglans pose plus spécialement problème :

« Ces ouvrages ne permettent pas de protéger le site contre une crue millénale du Rhône majorée de 15% combinée à la rupture du barrage de Vouglans.

L’ASN ne mentionne aucune protection à l’ouest du site. Cette zone est pourtant clairement exposée à l’arrivée des eaux de l’Ain en cas de rupture de barrage. (…) En cas de rupture brusque et imprévue du barrage de Vouglans, la vague atteindrait le point kilométrique 10, situé au sud de la centrale, en 5 heures trente et la surélévation maximale du plan d’eau initial serait d’environ 9 mètres ».

Une commission locale d’information (CLI) est prévue pour le 12 avril. Ce sera sans doute l’occasion pour les élus et les associations de demander des comptes sur ces travaux que la direction de la centrale nucléaire est censée avoir démarrer.

Source : http://www.rue89lyon.fr/2013/04/02/centrale-nucleaire-bugey-vulnerable-inondations-edf-mis-demeure-par-lasn/

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Centrale nucléaire du Bugey : trois incidents en quelques jours

Trois événements qui se sont produits à la centrale nucléaire du Bugey (Ain) en octobre ont fait l’objet d’une déclaration de niveau 1 auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Le dernier incident en date, de niveau 0, remonte quant à lui au 17 novembre. Cela faisait des mois que la centrale n’avait pas connu une telle actualité. Que faut-il en penser, interroge Le Dauphiné Libéré ? La centrale vieillit-elle mal ?

Selon Grégoire Deyirmendjian, directeur Rhône-Alpes de l’ASN, ce n’est pas quelque chose de « fondamentalement anormal. » Il ajoute :

« L’échelle internationale de classement des événements nucléaires comporte 7 niveaux. Fukushima a été classé au niveau 7. Des événements de niveau 0, nous en avons environ 1 000 par an. Au niveau 1, on parle d’anomalie. C ‘est un écart sans conséquence sur la radioprotection et l’environnement. »

L’association Sortir du Nucléaire Bugey compte avoir une réponse au sujet d’un incident qui remonte à un an. Il s’agit d’un niveau de tritium supérieur à la normale constaté dans le sous-sol de la centrale et déclaré le 15 octobre à l’ASN. « À la demande de l’ASN, la centrale doit déterminer l’origine de la fuite de tritium. Elle ne l’a toujours pas fait à notre connaissance » annonce Alain Cuny, membre de Sortir du Nucléaire Bugey. Ce qui inquiète les militants anti-nucléaire, c’est l’approche « peu rassurante » de cette fuite :

« Les autres incidents du mois d’octobre n’ont pas un caractère de dangerosité énorme. Ce qui est inquiétant, c’est que l’ASN a mis en demeure EDF d’identifier cette fuite et que cela n’est pas encore fait. Quid si d’autres incidents, plus graves, devaient se produire ? »

A lire sur ledauphine.com

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Centrales nucléaires et leucémies infantiles

Les centrales nucléaires françaises à l’origine de leucémies infantiles aigües : nos enfants nous accusent… déjà !

La revue Journal International du Cancer vient de publier dans son numéro de janvier une étude scientifique établissant une corrélation très claire entre la fréquence des leucémies infantiles aigües et la proximité des centrales nucléaires [1].

Cette étude épidémiologique rigoureuse, menée par une équipe de l’INSERM [2], de l’IRSN [3], ainsi que le Registre National des maladies hématologiques de l’enfant de Villejuif, démontre pour la période 2002-2007 que la fréquence d’apparition de leucémies infantiles (enfants de 0 à 14 ans) augmente de façon importante dans un rayon de 5 km autour des centrales nucléaires françaises – jusqu’à 2,2 fois plus chez les enfants de moins de 5 ans.

Cette étude confirme ainsi celle menée en Allemagne par le Registre des Cancers de Mayence en 2008 [4], qui avait abouti à des conclusions similaires.

Durant des années, le Réseau "Sortir du nucléaire" a vu l’IRSN travailler au démontage de toutes les études épidémiologiques montrant un impact des installations nucléaires sur la santé :
- démontage de l’étude de Jean-François Viel (1995) montrant un excès de leucémies et de cancers infantiles autour de La Hague [5],
- démontage de l’étude faisant la démonstration d’excès de leucémies infantiles autour des centrales allemandes [6].

Le Réseau “Sortir du nucléaire“ tient donc, une fois n’est pas coutume, à féliciter l’IRSN pour sa participation à cette étude épidémiologique.

Même en situation non accidentelle, la preuve est encore apportée que la technologie nucléaire n’appartient plus à un monde civilisé.

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International Journal of Cancer
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Etude en français
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Etude allemande 2007
 
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Commentaire de l’étude par l’IRSN
 

Notes

[1] http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ijc.27425/abstract

[2] Institut national de la santé et de la recherche médicale

[3] Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire

[4] Étude épidémiologique sur les cancers infantiles dans le voisinage des centrales nucléaires, éditée par l’Agence de Protection contre les Radiations et le Registre des Cancers infantiles de Mayence.

[5] http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Communiques_et_dossiers_de_presse/Pages/resultats__etude_du_Groupe_Radioecologie_Nord-Cotentin.aspx

[6] Rapport IRSN sur les leucémies infantiles autour des sites nucléaires Mai 2008


Source: communiqué de presse du SDN du 12/01/2012


http://www.bastamag.net/article835.html

Borloo et Bachelot veulent-ils couvrir la France de matières radioactives ?

Par Ivan du Roy (8 janvier 2010)

Certains sèment la biodiversité, d’autres préfèrent disperser la radioactivité. Les ministères de l’Ecologie, de la Santé et de l’Economie ont ouvert la porte au « recyclage » des déchets radioactifs issus de l’industrie nucléaire dans les biens de grande consommation. Du ciment radioactif pourra ainsi servir demain à bâtir des logements ou des écoles. Au grand dam des associations de consommateurs.

Faudra-t-il bientôt se munir d’un compteur Geiger pour vérifier le taux de radioactivité que dégageront les murs de votre logement, vos équipements contenant du métal ou les matériaux présents sur votre lieu de travail ? Scénario de science-fiction ? Malheureusement non. Depuis 2002, le Code de la santé publique interdisait l’ajout ou l’utilisation de substances radioactives pour la fabrication de biens de consommation et de matériaux de construction. Toute acquisition et cession de sources radioactives étaient sévèrement encadrées. Ce n’est désormais plus le cas. Le 5 mai 2009, quatre ministères – celui de l’Ecologie, de la Santé, de l’Economie et du Logement – ont signé un arrêté interministériel qui permet de déroger à cette interdiction. Le texte est entré en vigueur malgré l’avis défavorable de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Cela signifie que demain, si EDF veut se débarrasser de ses gravats faiblement radioactifs générés par le démantèlement de la centrale de Brennilis, en Bretagne (la première centrale nucléaire française à être démantelée), elle aura la possibilité de les céder ou les vendre à une cimenterie. Celle-ci transformera les gravats en matériaux de construction, qui serviront ensuite à bâtir des bureaux, des logements, des écoles ou des hôpitaux… Idem pour Areva. Si la multinationale ne sait que faire de fûts en métaux contaminés suite à un transport d’uranium, elle pourra les livrer à une fonderie qui le recyclera dans des produits de grande consommation : outils, véhicules, machines agricoles ou tuyaux (ce qu’avait déjà tenté de faire Areva en 2004 [1]). Seuls cinq catégories de produits restent exclues de toute dérogation : les aliments, les cosmétiques, les parures (bijoux), les jouets et les matériaux en contact avec les aliments et les eaux (les emballages par exemple).

Radioactivité lâchée dans la nature

Seuls les déchets radioactifs dits de « très faible activité » (TFA) sont concernés. Il n’empêche. Jusqu’à présent, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) entrepose ces déchets dans un centre de stockage situé dans l’Aube (Champagne-Ardenne). Les déchets sont enterrés « à quelques mètres de profondeur dans une roche argileuse », puis le lieu de stockage est ensuite recouvert « d’une couche d’argile compactée pour lui redonner son imperméabilité d’origine ». En cas de recyclage, seuls les acteurs de la filière nucléaire sont habilités à réutiliser du béton ou les gravats contaminés pour leurs installations. Ces précautions disparaissent avec le système de dérogation. Une fois lâchés dans la nature, ces matériaux ne seront plus tracés ni contrôlés.

« Même si ces déchets TFA seront dilués dans d’autres matériaux, cela va augmenter le bruit de fond de la radioactivité. Faible niveau de risque ne signifie pas absence de risque », explique Corinne Castanier, directrice de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). Contrôler les rayonnements radioactifs coûte très cher. Les entreprises qui recycleront ces matériaux auront donc tendance à ne procéder qu’à des vérifications partielles sur des échantillons de ciment ou de ferraille « dilués ». Ce qui augmentera la possibilité de laisser passer un parpaing ou une tôle trop radioactive.

Multiplicateurs de cancers

Corinne Castanier ne comprend pas pourquoi le gouvernement a pris une décision si lourde de conséquences pour la santé, à l’heure où les pouvoirs publics cherchent, dans le cadre du « plan cancer », à diminuer l’exposition des populations à la radioactivité naturelle (notamment le radon, qui favorise les cancers pulmonaires selon l’Organisation mondiale de la santé). En rendant possible l’ajout de substances radioactives dans des biens et des matériaux destinés au grand public, le système de dérogation risque bien d’augmenter la radioactivité artificielle, et les risques de cancer. « Seuls les industriels y trouvent un intérêt. Au lieu de stocker ces déchets, ce qui coûte cher, ils pourront s’en débarrasser tout en récupérant de l’argent. » Avec le démantèlement progressif des centrales nucléaires vieillissantes, le volume des déchets radioactifs sera multiplié par trois d’ici 2020, selon les prévisions de l’Andra.

Ce retour en arrière est d’autant plus incompréhensible que l’on cherche à réparer les erreurs commises depuis un demi-siècle. Jusqu’en 1986, 50 000 paratonnerres radioactifs [2] ont été disséminés dans toute la France, plus sept millions de détecteurs de fumée contenant de l’américium 241 [3], radioactif pendant 433 ans ! « Nous sommes en train de courir pour retrouver les objets radioactifs disséminés sur tout le territoire et le gouvernement rouvre la porte à des dérogations. Il faut tirer les leçons de ces années-là ! », assène la directrice de la Criirad. L’interdiction, en 2002, d’ajouter ou d’utiliser des substances radioactives dans des matériaux ou des biens de grande consommation avait été obtenue après un long travail de la Criirad et des associations de consommateurs, comme l’UFC Que choisir.

Avant cette réglementation, presque tout était permis. Ainsi Saint-Gobain avait introduit des déchets radioactifs dans la fabrication de sa laine de verre (Isover) multipliant par vingt les rayonnements. Ou la Cogema (devenue Areva) qui avait ajouté de l’uranium appauvri dans la poudre d’émail jaune destinée à la fabrication de bijoux. « Si demain la législation autorise l’addition de substances radioactives, il s’agira de modes de fabrication standard. Ce ne sont plus seulement la laine de verre et les émaux qui seront radioactifs, mais le ciment, le béton, l’acier, les pièces métalliques, le carrelage, les appareils ménagers, les ustensiles quotidiens… On peut légitimement s’inquiéter car le risque est bien réel. Le démantèlement des installations nucléaires va générer 15 millions de tonnes de déchets », s’inquiétait alors l’UFC Que choisir. Tout est désormais à refaire.

Recours juridique et responsabilité politique

La Criirad a d’abord adressé un recours au Conseil d’Etat pour faire annuler l’arrêté sur la base de ses « anomalies juridiques ». En cause : les modalités d’information des consommateurs. Celles-ci restent à la discrétion des industriels qui se garderont bien de mettre le logo spécifique aux matériaux radioactifs sur les emballages ! On ne peut faire plus laxiste. Or, c’est aux ministères concernés de définir ces modalités d’information. Ensuite, une telle décision concernant le Code de la santé publique ne peut être prise que par décret, signé directement par les ministres. Mais seuls les chefs de service des administrations concernées ont apposé leur signature au bas de l’arrêté.

L’association a adressé à Jean-Louis Borloo, Roselyne Bachelot et Christine Lagarde une lettre ouverte le 6 novembre 2009 pour les alerter « sur le contenu et les conséquences d’un texte, pris en leur nom » et pour qu’ils l’annulent. Plus de 7 000 cartes pétitions ont également été envoyées par des citoyens. Après deux mois de silence gouvernemental, Corinne Castanier sera reçue le 11 janvier au ministère de l’Ecologie. « Ils ne pourront pas dire qu’ils ne sont pas au courant ». Si rien ne bouge, la campagne pour l’annulation de l’arrêté se durcira, avec l’entrée en lice des associations de consommateurs.

Ivan du Roy


L’arrêté interministériel :

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L’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire :

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Notes

[1] Le Tribunal administratif de Lyon avait à l’époque annulé l’autorisation délivrée par le Préfet de la Loire pour un tel projet. L’entreprise Socatri (Areva) et une fonderie (Feursmetal) envisageaient de procéder à la fusion de 550 tonnes de ferraille contaminée provenant du site du Tricastin pour fabriquer des pièces en acier moulé destinées au domaine public.

[2] Ces paratonnerres sont équipés de sources de radium 226 (période radioactive de 1 600 ans) ou, plus rarement, d’américium 241 (période radioactive de 433 ans). Dans les deux cas, il s’agit de radionucléides émetteurs alpha de très forte radiotoxicité et l’activité des sources est élevée (de plusieurs millions à près d’un milliard de becquerels). L’Andra n’en a récupéré qu’un quart.

[3] Les professionnels estiment que 35% seulement de ces appareils sont sous contrats de maintenance. Pour les autres – environ 4,5 millions – la récupération sera beaucoup plus difficile, d’autant plus qu’aucune garantie financière n’a été mise en place. Sur la base d’une période de 433 ans et partant d’une activité de 30 000 Bq, il faudra attendre environ 2 000 ans pour que l’activité soit réduite à 1 000 Bq ; environ 5 000 ans pour atteindre 10 Bq et plus de 6 000 ans pour une activité résiduelle d’1 Bq. L’Union européenne recommande une norme de 200 bq/m3 dans les maisons neuves.


MOBILISATION CONTRE l’AJOUT de SUBSTANCES RADIOACTIVES
dans les BIENS DE CONSOMMATION et les MATERIAUX DE CONSTRUCTION.
(CRIIRAD)

http://www.criirad.org/mobilisation/5mai2009.html#1

 

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Audience EDF reportée – Déchargement de gravats radioactifs dans une carrière

EDF a fait reporter l'audience prévue le 3 avril 2013 au tribunal de Bourg en Bresse. Examen par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse de l'affaire du déchargement de gravats radioactifs par la centrale du Bugey en 2011.

Le Parquet de Bourg-en-Bresse a décidé d’engager des poursuites à l'encontre d'EDF et du directeur de la centrale du Bugey. L’audience aura lieu le 3 avril 2013, à 15h30, au tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse.

Rappel des faits :

Le 9 août 2011, un camion provenant de la centrale nucléaire du Bugey a déchargé des gravats présentant des traces de radioactivité dans une carrière utilisée pour stocker des déchets non radioactifs. Le Réseau "Sortir du nucléaire" a déposé une plainte.

La centrale nucléaire du Bugey est implantée au cœur de la région du Bugey, sur la commune de Saint-Vulbas (Ain), à 19 kilomètres d’Ambérieu-en-Bugey et à 35 kilomètres à l’est de Lyon. Le site du Bugey abrite notamment un réacteur de la filière graphite-gaz en cours de démantèlement (réacteur n° 1).

Le 9 août 2011, la centrale nucléaire du Bugey a procédé à l’évacuation d’une benne de gravats considérés comme des déchets conventionnels vers une carrière régulièrement utilisée par EDF et autorisée à recevoir ces matériaux.

Le camion a été contrôlé à la sortie de la centrale pour vérifier l’absence de radioactivité et pour confirmer le caractère conventionnel de son chargement. La présence de radioactivité a été détectée, mais le signal sonore et la barrière empêchant la sortie des véhicules ne fonctionnaient pas. Seul un gyrophare s’est déclenché, mais n’a pas été repéré immédiatement.

Quelques minutes après la sortie du camion, la direction de la centrale a identifié le problème. Cependant, le conducteur du camion n’a pas pu être prévenu avant d’avoir déchargé.

Le service radioprotection du site s’est rendu sur place et a établi une cartographie radiologique. Au point de contamination le plus élevé, le niveau de radioactivité était environ 3 fois supérieur au niveau naturel observé sur le site. EDF a procédé à la récupération du chargement le 10 août pour le réacheminer sur le site du Bugey.

L’ASN a conduit une inspection le 11 août afin de comprendre les circonstances de cet incident et vérifier que l’ensemble du chargement avait été récupéré par EDF. Il en résulte notamment que les gravats qui sont sortis du site le 9 août sont issus du chantier du réacteur n° 1 situé dans le local « HM 504 » qui n’est ni une zone réglementée au titre de la radioprotection, ni une zone à déchets conventionnels. Les inspecteurs de l’ASN ont constaté que ce local présentait deux sources de contamination radioactive : un regard de collecte des eaux perdues ainsi qu’une cuve et divers matériels placés sur rétention.

Le Réseau "Sortir du nucléaire" a porté plainte pour ces graves défaillances le 26 juin 2012. Le Parquet de Bourg-en-Bresse a décidé d’engager des poursuites. L’affaire devait être examinée le 3 avril 2013, par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse. Suite à une demande de renvoi de l’avocat d’EDF, l’audience sera reportée à une date ultérieure.

Visualiser la plainte de SDN : http://groupes.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/Plainte_de_finitive_PDF.pdf

 

 

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Lyon, ville la plus atomique de France

Jeudi 28 mars, à l'aube, des activistes de Greenpeace ont projeté un immense message sur la centrale nucléaire de Fessenheim sur lequel on pouvait lire "Pourquoi seulement moi ?" Cette opération accompagne la publication d’un rapport qui révèle et analyse les cinq centrales nucléaires françaises à fermer en priorité : Blayais, Bugey, Fessenheim, Gravelines et Tricastin.

En avril 2011, Lyon Capitale avait publié un dossier sur les risques nucléaires en Rhône-Alpes, l'une des régions les plus nucléarisées du monde

En voici un extrait.

Dossier paru dans Lyon Capitale-le mensuel d'avril 2011.

Lyon est l’une des très rares métropoles de la planète à être cernée par autant de centrales nucléaires en activité. On compte, en Rhône-Alpes, une tranche nucléaire pour 430.000 habitants, l’un des taux les plus élevés au monde. Face au risque invisible et redoutable de l’atome, Lyon n’a pas d’autre choix que de vivre avec.

Face à l’onde de choc de l’accident nucléaire japonais qui s’est propagée en France, François Fillon a promis un audit du parc nucléaire français. Ces mesures de contrôle de la sûreté des centrales porteront particulièrement sur les risques d’"agressions externes" de type inondation, séisme ou canicule. La région, qui compte un quart des réacteurs français – fournissant 22% de l’électricité du pays –, devrait faire l’objet d’un suivi “approfondi” selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). L’objectif est de répondre à des questionnements légitimes : les quatre centrales de la région sont-elles dimensionnées pour résister à un tremblement de terre ou à une montée des eaux ? Quels dégâts peut générer le crash d’un avion de ligne sur un réacteur ? Est-il dangereux d’habiter aux alentours d’une centrale ?

Carte Risques sismiques 1 © Lyon Capitale
@Lyon Capitale

Risque sismique 

La prise en compte du risque sismique dans l’industrie nucléaire se base sur le plus gros séisme qui a eu lieu dans la région d’implantation des centrales, à la magnitude duquel on rajoute 0,5. Ainsi, la centrale du Tricastin peut résister à un tremblement de terre de magnitude 5,2 alors que le séisme référent (1873) était de magnitude 4,7.

Selon Éric Debayle, sismologue à l’ENS Lyon, "en Rhône-Alpes, on s’attend à un séisme de magnitude 5 tous les trente ans et à un séisme de magnitude 6 tous les trois cents ans. Comparé au séisme japonais, ce sera vingt-sept mille fois inférieur".

Olivier Bellier, du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Cerege), explique le contexte local par le fait que les failles du sud-est de la France, dont certaines remontent en région, se déplacent "à des vitesses très lentes, de l’ordre de 0,1 mm par an", alors qu’au Japon les plaques bougent de 8,3 cm par an.

"Mais rien ne dit qu’un jour de plus gros séismes ne pourront pas se produire, tempère François Thouvenot, sismologue pour le réseau de mesures sismiques Sismalp, compte tenu du peu de recul que nous avons." 

Dans l’émission C dans l’air du 7 avril 2009, le géophysicien Vincent Courtillot, directeur de l’Institut du globe, allait même jusqu’à dire qu’ "il y a quelques décennies, les organismes qui étaient chargés d’installer les centrales nucléaires étaient ceux qui payaient les géologues qui devaient leur dire s’il y avait des risques ou pas. Les géologues ont eu tendance à ne pas bien voir les failles".

Tous les experts sont néanmoins unanimes pour dire qu’un séisme de magnitude 9 comme celui du Japon est pratiquement exclu en France.

Pourquoi les centrales sont-elles dans des zones sismiques ?

"La vallée du Rhône (le couloir rhodanien) est une immense faille, très ancienne. Si le Rhône coule à cet endroit, c’est justement parce qu’il s’est "glissé" dans cette zone de faille, explique le sismologue François Thouvenot. Or, les centrales ont besoin d’énormes quantités d’eau pour refroidir leurs réacteurs. D’où leur proximité des fleuves."

Risque d’inondation 

Du fait de leur proximité avec le Rhône, toutes les centrales de la région sont soumises au risque d’inondation et donc potentiellement situées en zone inondable. En France, l’incident de référence est celui de la centrale du Blayais, en Gironde. Dans la nuit du 27 au 28 décembre 1999 (la grande tempête), l’eau de l’estuaire de la Gironde avait franchi les digues et inondé les sous-sols de cette centrale, mettant hors d’usage des installations de sécurité. La moitié des pompes qui prélèvent l’eau de la Gironde avaient été noyées. Or, ce sont ces pompes qui permettent de refroidir l’ensemble du réacteur. Sans eau, le cœur du réacteur entre en fusion, pouvant conduire à la rupture de l’enceinte de confinement. Heureusement, on n’en est pas arrivé à ce stade. Pourtant, dès 1998, la nécessité d’une surélévation de 50 cm des digues avait été notifiée à EDF, qui avait repoussé les travaux, probablement en raison de leur coût.

Risque de radiation

Peut-on être irradié en habitant près d’une centrale ? La vérité est ailleurs… Du côté de l’Allemagne. Une vaste étude, commandée par le Gouvernement et portant de 1980 à 2003 sur des populations habitant dans un rayon de 5 km autour des centrales, est sans appel : "Le risque de développer une tumeur ou une leucémie augmente de manière significative en corrélation avec la proximité du lieu d’habitation et d’un réacteur." 

Les enfants qui habitent à moins de 5 km d’une centrale ont un risque plus élevé de 60% de développer un cancer avant l’âge de 5 ans. Ce risque est accru de 117% pour ce qui est des leucémies. En ligne de mire : les radiations et les rejets d’effluents radioactifs dans l’air et dans l’eau en quantités réglementées. Des normes existent et sont généralement respectées. Mais cette étude rappelle que toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique. Au menu : cuivre, zinc, morpholine, ammoniaque, phosphates, bore, hydrazine, chlorure, etc., qui se retrouvent dans les nappes phréatiques.

Carte 2 © Lyon Capitale
@Lyon Capitale

Risque bactériologique

Inoffensives les vapeurs qui sortent des tours des centrales ? Question radioactivité, oui, ces vapeurs d’eau sont réputées inoffensives. Mais elles peuvent contenir un danger d’une tout autre nature : les légionelles. Des bactéries tueuses qui prolifèrent dans les eaux douces à des températures comprises entre 25 et 45°C et qui, inhalées, provoquent des troubles respiratoires. Les légionelles étaient si inquiétantes que l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) s’en est mêlée. L’Afsset a estimé que les seuils tolérés pour les tours aéroréfrigérantes des centrales étaient trop élevés (les tours permettent d’évacuer dans l’atmosphère, sous forme de vapeur d’eau, une partie de la chaleur produite par les réacteurs). Les centrales de Cruas et du Bugey sont concernées.

Risque de crash aérien

Une centrale peut-elle résister au crash d’un avion ? Oui, dit EDF. La structure des centrales nucléaires rhônalpines a été dimensionnée pour supporter l’impact d’un avion de type Cessna 210 de 1.500 kg (projectile "dur" et perforant) ou d’un biréacteur d’affaires de 5.700 kg (projectile "mou") de type Learjet 23. La vitesse d’impact prise en compte est de 100 m/s, ce qui correspond à 360 km/h. EDF estime la "probabilité de chute d’avion à 0,1 par ansur une enceinte de confinement.

Quant au réacteur dit de troisième génération, l’EPR, dont plusieurs sont en construction à Flamanville (Manche), en Finlande et en Chine, l’association Sortir du nucléaire a créé la polémique en publiant, courant 2006, un document "confidentiel défense". Le document indiquait que l’enceinte, une double paroi en béton armé, avait été conçue avant le 11 septembre 2001, pour résister à une chute d’avion militaire mais pas à une chute d’avion commercial. Depuis mars 2010, Areva affirme sur ses plaquettes commerciales que le réacteur résisterait bien au crash d’un gros avion de ligne, "de type A380précise Jean-François Carenco, préfet de Rhône-Alpes.

Si le doute existe pour l’EPR, il n’y en a aucun concernant les centrales de "deuxième génération" présentes dans la région : elles ne résisteraient pas au crash d’un avion de ligne. Dans le cas où cela se produirait, l’enceinte de confinement serait détruite, provoquant la libération de radioactivité. Surtout, la centrale pourrait exploser, et là…

Risque de canicule

De grosses chaleurs n’ont aucune influence sur le fonctionnement d’une centrale. À un bémol près. Il ne doit pas faire plus de 50°C dans le bâtiment qui abrite le réacteur nucléaire. Vu comme ça, on a du mal à imaginer la centrale muer en sauna. C’est pourtant ce qui est arrivé lors de la canicule de 2003, à Fessenheim, en Alsace. EDF a dû asperger les murs de béton de la tranche n°1 avec des brumisateurs, en pompant l’eau de la nappe phréatique voisine, à raison de à 5 m3 d’eau par heure.

Au-dessus de 50°C, les matériaux électriques se dégradent, ce qui peut entraîner d’importants dysfonctionnements dans la centrale. Enfin, quand les rivières sont basses, le cocktail chimique rejeté dans l’eau quotidiennement par les centrales a tendance à moins se diluer.

Risque Tchernobyl

Selon l’Académie des sciences de New York, qui a récemment publié le recueil le plus complet de données scientifiques concernant la nature et l’étendue des dommages infligés aux êtres humains et à l’environnement à la suite de l’accident de Tchernobyl, le nombre de décès à travers le monde attribuables à ses retombées, entre 1986 et 2004, est de 985.000, un chiffre qui a encore augmenté depuis cette date. Des 830.000 "liquidateurs" intervenus sur le site après les faits, 112.000 à 125.000 sont morts. Les pays les plus touchés sont la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine.

Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ont été contaminés des territoires habités par plus de 7 millions de personnes, dans un rayon de 100 km autour de la centrale et jusqu’à 500 km au nord-est de celle-ci.

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Centrale du Bugey (Ain)

Centrale du Bugey © EDF

FICHE D’IDENTITÉ

Situation : 45 km de Lyon

Commune d’implantation :Saint-Vulbas

Puissance : 4 réacteurs de 900 MW

Démarrage des réacteurs 2 et 3 : 1978

Démarrage des réacteurs 4 et 5 : 1979

Production : Fournit l’équivalent de 40% de la consommation annuelle électrique de Rhône-Alpes, soit 5% de la consommation française.
Un réacteur à uranium naturel graphite gaz, mis en service en 1972 et arrêté en 1994, est actuellement en cours de démantèlement.

Nombre de personnes employées : 1.200

Taxe foncière : 2,8 millions d’euros

Autres redevances : 62,4 millions d’euros

RISQUE SISMIQUE

Séisme de référence : 1822 (Bugey-Chautagne) – Magnitude 5,5

La commune de Saint-Vulbas, où est implantée la centrale du Bugey, se trouve en zone sismique modérée. Le dernier séisme a été enregistré le 11 janvier 2006, à 35 km du site nucléaire. Le tremblement de terre, de magnitude 3,5 sur l’échelle de Richter, a produit quelques dégâts très limités (chute d’une cheminée et de tuiles, fissuration du dallage de l’église) dans le village de Conand, sous lequel se situait l’épicentre (940 m de profondeur). Selon l’Autorité de sûreté nucléaire, la centrale est dimensionnée pour résister à un séisme de magnitude 6. François Thouvenot, sismologue responsable du réseau Sismalp, une zone de failles "assez peu active" pourrait se situer sur le coude du Rhône, près de la centrale.

RISQUE D’INONDATION

Crue millénale de référence : 3 400 m3/s

"Initialement, le site du Bugey a été construit sur une plate-forme aménagée permettant de préserver le site en cas de crue millénale du Rhône", explique la centrale.
Le scénario dimensionnant et majorant est celui d’une rupture du barrage de Voulgans (103 m de haut au-dessus de l’Ain, 605,7 millions de m3) sur crue centennale de l’Ain cumulée à cette crue historique du Rhône. Il y aurait alors une vague qui descendrait de la rivière jusqu’au fleuve.

RISQUE BACTÉRIOLOGIQUE

La centrale est concernée par le risque de prolifération de légionelles dans l’air, occasionnée par ses quatre tours aéroréfrigérantes.

RISQUE DE CANICULE

Le problème des fortes chaleurs est le rejet dans le fleuve d’eau trop chaude, avec des conséquences sur la faune et la flore. Le 20 juillet 2003, la centrale a relâché des eaux supérieures de 0,9°C à la réglementation. Dix jours plus tard, la centrale a commis une infraction pendant 9 heures. La température mesurée n’a pas été révélée.

RISQUE TCHERNOBYL

Si un accident identique à Tchernobyl se produisait un jour à la centrale du Bugey, les départements du Rhône (1,7 million d’habitants), de l’Ain (560.000 habitants) et de l’Isère (1,26 million) seraient entièrement touchés.

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Centrale du Tricastin (Drôme)

Centrale du Tricastin © EDF

FICHE D’IDENTITÉ

Situation : 175 km de Lyon

Implantation : Saint-Paul-Trois-Châteaux

Puissance : 4 réacteurs de 900 MW

Démarrage des réacteurs 1 et 2 : 1980

Démarrage des réacteurs 3 et 4 : 1981

Le réacteur n°1 est le premier réacteur français à avoir été prolongé de 10 ans.

Production : Fournit l’équivalent de 40 % de la consommation annuelle électrique de Rhône-Alpes, soit 5% de la consommation française. Nombre de personnes employées : 1.500

Taxe foncière : 2,1 millions d’euros

Autres redevances : 18,9 millions d’euros

RISQUE SISMIQUE

Séisme de référence : 1873 (Tricastin) – Magnitude 4,7

Les 630 hectares du site nucléaire du Tricastin (1 centrale, 5 usines permettant de transformer l’uranium issu des mines en combustible pour les réacteurs, 1 usine de décontamination) sont à cheval sur deux départements (Drôme, Vaucluse) et trois communes (Pierrelatte, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Bollène). La zone est classée en aléa sismique modéré. Le Tricastin serait sur un segment nord de la faille des Cévennes. Pour Olivier Bellier, chercheur au Cerege, "la centrale se situe entre deux accidents majeurs français, la faille des Cévennes et la faille de Nîmes, non considérées comme des failles actives par la grande majorité des experts". Ce qui n’exclut pas de futurs séismes, les derniers de forte intensité (VII à VIII) datant de 1773 et 1873 – dégâts massifs avec destruction des habitations les plus vulnérables. Le dernier séisme enregistré par Sismalp remonte au 25 novembre 2008 : une magnitude de 2,1 à 10 km de Pierrelatte. Selon EDF, le Tricastin peut résister à un séisme de magnitude 5,2. Lors de la troisième visite décennale de l’ASN, EDF a investi 5 millions d’euros pour mieux se protéger en cas de séisme (renforcement de la structure de la salle des machines, supports de plancher en acier). Quant à l’usine d’enrichissement d’uranium Georges-Besse II, dont les travaux sont actuellement en cours, elle repose sur des appuis antisismiques.

RISQUE D’INONDATION

Crue millénale de référence : 11 910 m3/s

Lors de sa troisième visite décennale, l’ASN a estimé que "la protection de la centrale nucléaire du Tricastin en cas de crue millénale majorée n’est pas assurée à ce stade". EDF a jusqu’au 31 décembre 2014 pour réaliser des travaux portant sur l’aménagement hydraulique du canal de Donzère-Mondragon.
La nouvelle usine d’enrichissement de l’uranium Georges-Besse II a été élevée 4 mètres au-dessus du niveau du sol pour éviter les inondations basées sur la crue millénale de référence majorée de 15%.

RISQUE DE CANICULE

Du 12 au 22 juillet 2003, la centrale nucléaire du Tricastin a dépassé à plusieurs reprises la température autorisée (27°C) du canal de Donzère-Mondragon, en aval du site, pour une durée totale supérieure à 44 heures et une température maximale atteinte de 28,8°C.

RISQUE TCHERNOBYL

Si un accident identique à Tchernobyl se produisait un jour à la centrale du Tricastin, les conséquences pourraient être encore plus désastreuses que sur les autres sites, compte tenu de la présence d’une usine d’enrichissement et de conversion de l’uranium. La radioactivité dégagée par les seuls réacteurs en fusion couvriraient l’Ardèche (230.000 habitants) et la Drôme (480.000).

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Centrale de Saint-Alban (Isère)

Centrale de Saint-Alban © EDF

FICHE D’IDENTITÉ

Situation : 50 km de Lyon

Commune d’implantation : Saint-Alban-du-Rhône

Puissance : 2 réacteurs de 1.300 MW

Démarrage du réacteur 1 : 1985

Démarrage du réacteur 2 : 1986

Production : Fournit l’équivalent de 13% de la consommation électrique de Rhône-Alpes.

Nombre de personnes employées : 670

Taxe foncière : 5,5 millions d’euros

Contribution économique territoriale : 14,25 millions d’euros

RISQUE SISMIQUE

Séismes de référence : 24 juin 1878 (Villefranche-Lyon) et 9 septembre 1879 (Lagnieu) – Magnitude 4,7 et 5,1

Saint-Alban est en zone d’aléa sismique modéré, comme les trois quarts du territoire régional.

Un séisme de magnitude 2,1 a été enregistré le 24 juin 2010 tout près de Grenoble. La centrale iséroise peut, selon son concepteur, résister à un séisme de 5,5 sur l’échelle de Richter.

RISQUE D’INONDATION

Crue millénale de référence : 8.150 m3/s

Des travaux d’un montant de 1,5 million d’euros débutés en 2007 viennent de s’achever pour construire une digue et un muret au nord du site.

La digue a été construite pour résister à une crue de 9.370 m3/s (majoration de 15%).

Pour comparaison, le débit moyen du Rhône est de 1.600 m3/s.

RISQUE DE CANICULE

Le 14 juillet 2003, la centrale nucléaire a commis une infraction d’une durée de 4 heures et d’une valeur moyenne de +0,36°C au-dessus de la limite autorisée ; le 21 juillet suivant, une infraction en moyenne de +0,3°C, pendant 5 heures.

RISQUE TCHERNOBYL

Si un accident identique à Tchernobyl se produisait un jour à la centrale de Saint-Alban, il affecterait la moitié des départements de l’Ardèche, de la Drôme (dont l’agglomération de Valence qui compte 120.000 habitants), de l’Isère (dont l’agglomération de Grenoble et ses 400.000 habitants).

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Centrale de Cruas (Drôme)

Centrale de Cruas © EDF

FICHE D’IDENTITÉ

Situation : 140 km de Lyon

Communes d’implantation : Cruas et Meysse

Puissance : 4 réacteurs de 900 MW

Démarrage des réacteurs 1 et 2 : 1984

Démarrage des réacteurs 3 et 4 : 1985

Production : Fournit l’équivalent de 40% de la consommation annuelle électrique de Rhône-Alpes, soit 5% de la consommation française.

Nombre de personnes employées : 1.100

Taxe foncière : 5,5 millions d’euros

Autres redevances : 24,2 millions d’euros

RISQUE SISMIQUE

Séisme de référence : 8 août 1873 (Châteauneuf-du-Rhône) – Magnitude 4,7

La centrale de Cruas-Meysse est la seule centrale nucléaire française à avoir été construite sur des appuis antisismiques. La géologie locale y est pour beaucoup : les terrains durs propagent plus vite les ondes sismiques, alors que sur des terrains meubles les vibrations sont piégées. La centrale de Cruas se trouve non loin d’un segment au nord de la grande faille des Cévennes, pour laquelle certains experts suggèrent une activité possible. EDF a dimensionné cette centrale pour résister à un séisme de magnitude 5,2.

RISQUE D’INONDATION

Crue millénale de référence : 11.390 m3/s

Le 2 décembre 2009, l’arrivée massive de végétaux a bloqué l’arrivée d’eau dans une des stations de pompage de la centrale et a conduit à la perte totale du refroidissement de systèmes importants pour la sûreté du réacteur n°4.

RISQUE BACTÉRIOLOGIQUE

La centrale est concernée par la prolifération de légionelles occasionnée par ses trois tours aéroréfrigérantes.

RISQUE TCHERNOBYL

Si un accident identique à Tchernobyl se produisait un jour à la centrale de Cruas, les départements de l’Ardèche (230.000 habitants) et de la Drôme (480.000) seraient entièrement touchés par les rejets de radioactivité.

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REPÈRES

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ASN

Exposition et effets des radiations

0,00009 mSV

Débit de dose horaire reçue par les Lyonnais, le 28 mars 2011, suite à l'accident de Fukushima. Soit 3 fois moins que la radioactivité naturelle reçue pendant un an. Il s'agit des rayons gamma, des ondes électromagnétiques émises par les atomes radioactifs lors de leur désintégration.

0,001 mSV

Dose reçue lors de notre visite de une heure dans l’un des réacteurs (à l’arrêt) de la centrale du Bugey.

0,007 mSV

5 heures de vol en avion.

0,1 mSV

Radiographie des dents.

1 mSV

Limite légale que peut recevoir le public (radioactivité non naturelle). Pour la Criirad*, cette dose n’est pas inoffensive, avançant le chiffre d’un mort pour 500.000 personnes.

2,45 mSV

Radioactivité naturelle.

10 mSV

Scanner du corps entier.

20 mSV

Dose annuelle maximale imposée aux travailleurs du nucléaire.

33 mSV

Exposition moyenne des personnes évacuées des zones hautement contaminées de Tchernobyl (expositions maximales de l’ordre de quelques centaines de mSV).

50 mSV

Exposition moyenne des personnes habitant dans les zones strictement contrôlées de Tchernobyl (exposition cumulée de 1986 à 2005).

70 mSV

Traitement thérapeutique de la thyroïde (dose moyenne sur tout le corps).

100 mSV

Dose annuelle à partir de laquelle la probabilité de développer un cancer augmente significativement.

117 mSV

Dose moyenne reçue par les “liquidateurs” de Tchernobyl.

400 mSV

Dose partielle reçue en une heure, mardi 15 mars, sur le site de Fukushima selon l’AIEA.

6 000 mSV

Tous les salariés ayant reçu cette quantité de radiations durant l’accident de Tchernobyl sont morts en un mois.

* Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité.

Lien Permanent pour cet article : https://www.stop-bugey.org/archives/lyon-ville-la-plus-atomique-de-france/

15 thèses sur le nucléaire

« 15 thèses sur le nucléaire », c’est le titre du dernier article de Jean-Marc Royer qui vient de paraître dans la revue de Sciences-Po, Ecologie et Politique (n° 46). Nous en publions ici l’intégralité, avec l’autorisation de son auteur. Le rédacteur de l’appel « Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima : des crimes contre l’Humanité » revient une nouvelle fois sur l’histoire du nucléaire en analysant les rouages des évènements, des horreurs et des crimes commis et sur les conditions similaires à Fukushima qui amèneront, si rien ne change, à une nouvelle catastrophe nucléaire en France. Selon Jean-Marc Royer, « des possibilités immenses » pour changer la donne sont en chacun d’entre nous, « pour peu que nous en sentions la nécessité en tant qu’être humain ».

15 thèses sur le nucléaire.

Jean-Marc Royer

 « La leçon pourra s’écrire ainsi : toute authentique science politique nouvelle – de celle qu’invoquait autrefois impérativement Tocqueville, et qu’il convoquait comme une nécessité alarmée – ne s’amorcera dorénavant que d’une éthique de la désillusion, portail des œuvres de lucidité. Il n’y aura probablement plus d’autre Éthique pertinente aujourd’hui que celle qui s’amorce dans l’orientation de cet "axe". Qui y établit ses bases. Qui ne dit pas le Bien, mais qui scrute d’abord le Mal. » (1) 

 Ces thèses ne sont que la suite d’un travail sur le rôle, la place du mode de connaissance scientifique dans l’imaginaire occidental et les préliminaires d’un travail en cours. Elles se situent résolument du côté de la réflexion philosophique qu’impose l’ère nucléaire et sur les traces de Günther Anders (2).

 Première thèse

Ce 6 août 1945, l’énergie nucléaire s’est d’emblée et massivement imposée à la conscience de l’humanité comme un commandement adressé à chacun, car, dès le lendemain, tous les pouvoirs (sauf Staline qui fulminait), tous les journaux, tous les intellectuels, tous les éditorialistes, tous les philosophes, à l’exception de Simon Charbonneau, Albert Camus et Günther Anders, se sont abandonnés à cette lourde menace, ou pire, l’ont célébrée comme une grande révolution scientifique, voire la promesse d’une ère nouvelle pour l’humanité (3). Mais entre l’exhortation générale à célébrer le progrès, et la conscience diffuse qu’un meurtre de masse venait peut-être encore d’être commis (les photos publiques d’Auschwitz dataient de quelques semaines), tout s’est passé comme si une gigantesque injonction subliminale avait été adressée à l’humanité dans son ensemble, que l’on pourrait ainsi formuler : « tu admireras ma science du désastre », ou, autrement dit, « tu honoreras ce qui détruit l’humanité à laquelle tu appartiens ». Ainsi, comme aux temps des Pharaons, la prosternation fut générale devant cette éclatante démonstration de toute-puissance et, dès le premier jour, le grand œuvre du refoulement fut initié : il fut à la mesure de la menace qui pesait pour la première fois sur l’ensemble du vivant et de l’écosphère. Cet été-là, les trois coups mortifères de la toute-puissance occidentale ont retenti (4) ; le second acte de cette tragédie n’est pas terminé.

 Deuxième thèse

Toutes les premières photos (vues du ciel, et transmises par les militaires), montrent la dévastation des villes d’Hiroshima et Nagasaki (il faudrait plutôt dire leur volatilisation) qui fut si complète que les mots manquèrent pour le dire : les militaires, les politiques et même les scientifiques, avaient déjà éprouvé cette stupéfaction inouïe le seize juillet précédent lors du premier essai à Alamagordo. En conséquence, outre les aspects purement destructifs de cette nouvelle arme scientifique, des effets d’un autre ordre étaient « attendus, et même espérés », (d’une manière quasi mystique (5)), et que l’on pourrait formuler de la manière suivante : en sidérant les esprits, il s’agissait de ficher, au creux des inconscients, une munition anti-personnelle à retardement, destinée à faire des trous dans l’ordre symbolique du sujet (le langage) longtemps après l’explosion. Depuis, ces trous dans l’ordre symbolique n’ont fait que croître et sont devenus les niches d’une nouvelle servitude, car un des moyens dont dispose l’idéologie pour devenir inintelligible et invulnérable, c’est justement d’infiltrer le langage, les mots de chaque jour. D’autre part, cette forte stupéfaction des consciences a constitué ce que l’on pourrait appeler l’expérimentation princeps (à cette échelle) de la « stratégie du choc », laquelle, – combinée au dispositif  (6) à 360° – inaugure ainsi l’usage d’un des leviers de la gouvernance propre au totalitarisme démocratique (7). Condition insuffisante, certes, mais nécessaire : c’est dans la critique radicale de cet ordre symbolique embarqué (embedded) et dans celle de l’imaginaire qu’on lui propose à peu de frais, que le sujet a des chances de maintenir une parole vivante, et le monde de survivre.

 Troisième thèse

Levinas a attiré l’attention sur le fait, pour lui paradoxal, qu’une civilisation, qui avait proclamé la valeur absolue de la personne, ait industriellement massacré ou laissé massacrer six millions d’êtres humains du seul fait qu’ils étaient juifs, tziganes, homosexuels, internés en psychiatrie ou opposants. Il ajoutait que, malheureusement, la culture occidentale n’avait pu l’empêcher. Or, le premier génocide du siècle, déjà perpétré par l’Allemagne, le fut entre 1904 et 1908 en Namibie, contre les Hereros (8) tandis que dès ce moment-là, les pratiques eugénistes à la base du nazisme y fleurissaient (9) comme aux États-Unis et ailleurs (10). Une constatation s’impose : cette civilisation était déjà corrodée de l’intérieur, à un point inimaginable aujourd’hui ; il était donc vain d’en attendre un secours face à la barbarie (11).

N’en déplaise aux antiquaires de l’Histoire et de la Philosophie, il faut considérer ensemble Auschwitz et Hiroshima parce qu’ils sont l’avers et le revers d’une même médaille, et qu’ils ont marqué à jamais la conscience de l’humanité et le devenir de la planète de leurs sceaux indélébiles. Ce n’est pas seulement que la mort industrielle et scientifique y montrait son vrai visage, en 1945 ; il s’est alors ouvert une nouvelle période de l’histoire humaine et de l’Anthropocène dont toutes les dimensions sont encore méconnues ou très largement mésestimées, ce qui fait que l’on parle encore de manière laudative des trente années qui ont suivi la seconde Guerre mondiale comme de « trente glorieuses » années alors que jamais, depuis la nuit des temps, la Terre, le vivant et l’humanité n’avaient été confrontés à d’aussi dures épreuves. Deux exemples : sait-on que, depuis 1945, plus de cinquante millions de personnes sont mortes des suites d’accidents automobiles et qu’autant sont gravement handicapées à vie (12) ? Et qui sait que, depuis cette date les 2 400 explosions atomiques – et tous les autres avatars du nucléaire – auront provoqué plus de soixante-cinq millions de morts ? C’est-à-dire que ces deux non-évènements auront fait deux fois plus de victimes que la seconde Guerre mondiale (13) tout en restant insu.

 Quatrième thèse

Au-delà de leurs spécificités, Auschwitz et Hiroshima ont plusieurs traits en commun dont l’un d’entre eux est capital : ce sont des crimes commis contre l’Humanité (14). De ce fait, la génération d’après-guerre a eu en cadeau dans son berceau les signifiants des plus radicales expériences de déshumanisation que le monde ait jamais connues. L'effet de ces désastres n’est toujours pas apuré dans les consciences (et la civilisation) occidentales, ce qui contribue à mettre entre parenthèses tout sens moral et à refouler ce qui en fait l’inhumanité radicale. La transmission entre générations en est profondément affectée : sur quel crédit moral la parole des ascendants peut-elle encore s’appuyer ? L’avènement de l’image télévisuelle, (qui a préparé celle de l’informatique généralisée), est venu approfondir cette césure par la prévalence d’une procédure de connaissance qui se voudrait immédiate (dans les deux sens du terme), c’est-à-dire sans aucun intermédiaire et « en temps réel ». C’est ainsi que la parole des anciens et notre langue maternelle sont progressivement mises hors-jeu. Or, cette transmission entre générations, c’est l’apprentissage de la butée, de la limite ; quand il fait défaut, il se fait par le passage à l’acte avec tous les effets délétères et mortifères que cela entraîne. Cet état des choses (visible aussi bien au plan individuel et collectif que politique) est porteur des plus gros dangers pour notre monde en tant que nous avons acquis les possibilités technoscientifiques de tout détruire d’une manière systémique, que ce soit violemment, très lentement, ou même en faisant passer cet anéantissement minutieux pour un projet salvateur (Cf. les projets de géo-ingénierie nanotechnologique comme recours contre les effets des surcroîts de gaz à effet de serre).

 Cinquième thèse

Tout ce qui précède (y compris les profonds traumas de guerres) constitue le terreau d’une évolution sociale et psychique inédite qui a été favorisée et s’incarne à merveille dans « l’American Way of life » : la jouissance de l’objet (15) et la tyrannie de l’immédiat fondent une double « forclusion du sujet » (16). Les dispositions psychiques elles-mêmes, qui permettaient de penser, de sublimer, ont progressivement été dévaluées : ce qui est de l’ordre de la Culture, de la création, de la réflexion critique, est partout mis au ban, sans avoir même besoin de le formuler, encore moins de le planifier ; l’efficacité immédiate, le taux de retour sur investissement ou l’image de marque sont devenus les critères d’un utilitarisme universellement admis et promu. Cela a engendré, avec le leurre généralisé d’un prétendu individualisme (17) (en fait un conformisme totalement et vulgairement formaté), une irrésistible « mèreversion » (18) de la démocratie dont la figure s’est progressivement tournée vers une sorte de totalitarisme démocratique. La mise en place de cet État politique doit beaucoup au coup de maître initial (encore très largement sous-estimé, car peu étudié, et dont les archives sont encore pour partie inaccessibles), qu’a représenté le Manhattan Project durant les années de guerre.

 Sixième thèse (première forme du déni)

J’appelle « secrets de la famille occidentale » tout ce qui a conduit à Auschwitz et à Hiroshima. Ceux-ci, d'indicibles après-guerre, sont devenus innommables à la seconde génération et deviennent inimaginables pour la troisième, celle d’aujourd’hui. Cela a également entraîné des ruptures de mémoire qui compliquent la nécessaire conscience du « peu d’avenir que contient le temps où nous sommes » (19). En plus de la difficulté accrue qui s’ensuit pour affronter l’immensité de ces crimes voilés contre l’humanité, cela entraîne évidemment leur refoulement. Il en résulte que la mort à grande échelle véhiculée par l’énergie atomique (et cette civilisation industrielle) a été prise dans la banquise de profonds dénis, ce qui a fortement contribué à anesthésier la conscience de cette CHOSE et de ses dangers à tous les niveaux de la société : civile, technicienne, scientifique, philosophique et politique. La privatisation « des exploitants » en cours depuis trente ans, avec son cortège de démotivations et de suicides reconnus après-coup, d’externalisations et de départs massifs à la retraite, occasionnent d’autres types de ruptures de mémoire propre aux macro-systèmes sociotechniques à interactions complexes et couplages forts (20) qui sont totalement inédits par leur extension et leur diversité. D’autres facteurs historiques, sociaux, organisationnels et techniques, notamment le vieillissement des installations jusqu'à soixante ans, comme le souhaite EDF, augmentent la probabilité d’une occurrence de catastrophe nucléaire majeure dans ce pays, jusqu’à la rendre inéluctable.

 Septième thèse (la mémoire et le déni)

La France entretient de drôles de liens avec sa mémoire historique, et pour cause. Comme il y eut une drôle de guerre de septembre 1939 à mai 1940, une profonde défaite de juin 1940 à juin 1944, une curieuse collaboration durant ces quatre années, une troublante libération importée d’outre-Atlantique et initialement prévue en occupation militaire (21), il s’est mis en place une étrange victoire d’août 1944 à octobre 1945. Que l’historiographie française ait eu besoin d’être ébranlée, trente ans après, par un chercheur étranger, Robert Paxton, pour ouvrir les yeux sur ce douloureux passé, n’est pas sans signification pour ce qui nous préoccupe. Car dans ce pays, plus que partout ailleurs, le nucléaire s’est établi sur le profond déni d’une réalité historique plus que désagréable à affronter, sans parler de la réitération de ces amères défaites, quelques années plus tard, en Indochine et en Algérie.

C’est ce déni de tout un pan du passé (de 1940 à 1962, presque le temps d’une génération), largement partagé dans la société française, qui coule encore, souterrainement, dans tout l’imaginaire de la classe politique à travers le fantasme de « glorieuses années ». C’est ce qui explique aussi le statut intouchable et enkysté du nucléaire dont ils espéraient une rédemption et qui en conserve une part de sacré à leurs yeux, sacralité illustrée par la locution suivante : « l’indépendance-énergétique-et-militaire-de-la-Nation » (22). Érigé en principe intangible qui infuse dans la haute administration, dans les grands corps et parmi les technocrates, ce profond déni est caractéristique de l’imaginaire des politiques français : ils veulent encore tous croire dur comme fer que le nucléaire français est exceptionnellement sûr et qu’il n’y a donc pas lieu d’affoler la population, ni même de s’en préoccuper.

Cela constitue évidemment une des meilleures manières de préparer l’avènement d’un accident majeur car ce fut exactement l’état d’esprit du « village nucléaire » japonais (politiques, administrateurs, régulateurs, industriels et exploitants confondus (23)) à la veille de Fukushima – un état caractérisé par une incompétence à peine croyable, la dissimulation, les malversations, une impréparation maximale – et ce sera exactement la même chose en France.

 Huitième thèse

C’est dans les semaines suivant Nagasaki, avant même la création de la « joint commission (24)» puis de l’Atomic Bomb Casualty Commission (25), que se sont mis en place les termes d’un débat sur les contaminations aux faibles doses qui n’en finit pas depuis plus de soixante ans, alors que c’est une question de santé publique de première importance. Étudier ce qui s’est vraiment passé juste après le désastre, au Japon, en 1945, reste d’une brûlante actualité : autant que l’on sache, des pans entiers de cette réalité sont encore sous le sceau du secret. J'emploie l’expression autant que l’on sache, car, au fur et à mesure que l’on se penche sur l’histoire de cette industrie nucléaire civile et militaire, on prend conscience qu’elle est marquée du double sceau du secret et de la mort. Cette question mériterait également d’être examinée d’un point de vue épistémologique : au village nucléaire international qui dénie ces effets en les nommant « stochastiques », c'est-à-dire non déterministes, il faudrait renvoyer l’indéterminisme fondamental qui caractérise tout ce qui concerne les phénomènes engendrés par le bombardement neutronique non contrôlé d’un noyau d’uranium ou de plutonium.

 Neuvième thèse

Les dimensions exceptionnelles du « Manhattan Project » n’ont pas été suffisamment étudiées ou prises en compte pour de multiples raisons et dans de multiples domaines. Or ce projet inaugure ce « dispositif à 360° » caractéristique d’une dérive des États, synchrone de l’impériale « American Way of life » qui fut non négociable depuis ses débuts. Sur le mode d’une rationalité calculatrice sans vérité, avec la science pour puissant référent universel, le totalitarisme démocratique qui s’est progressivement mis en place n’a pas pris pour modèle celui des années 30 en Europe. Le « plus jamais ça » est donc totalement inadéquat pour décrypter cette mutation économique et politique du lien social. L’encerclement idéologique des individus qui s’en est suivi a pour pendant la misérable « circularité des raisons de vivre » que la production industrielle de masse a imposé avec la consommation de ses produits par ses propres producteurs.

 Dixième thèse

Ce que contient la piscine N°4 de Fukushima, ce ne sont pas seulement trois cents tonnes d'assemblages neufs et irradiés, c’est l’équivalent de trois « cœurs » de réacteurs (50 % de plus qu’à Tchernobyl). Elle contient le danger, suspendu à trente mètres de hauteur, de rayer de la carte une grande partie du Japon, avec des conséquences mondiales imprévisibles (26). Qu’en disent les autorités, le village nucléaire international et les médias, en particulier en France ? Les uns sont dans leur déni constitutif, quant aux autres, il faut avoir entendu, au moins une fois dans sa vie, ce type de conférence de presse pour en croire ses oreilles (27) … Au temps de l’Anthropocène, la notion de catastrophe sous-entend la dévastation totale de l’écosphère comme horizon, même si les spécificités, les spatialités et les temporalités des diverses catastrophes ne sont pas prévisibles. Depuis les années 40, le monde est devenu un laboratoire d’essais de la toute-puissance à l’échelle1:1. Les animaux sont devenus des produits industriels dès 1865 à Chicago ; les êtres humains, eux, de la chair à canon, des cobayes (28), des ressources, puis des variables d’ajustement selon les besoins ; quant au vivant, aujourd'hui brevetable, il est en passe d’être entièrement aux mains de trusts transnationaux.

 Onzième thèse

Tout comme il y eut des Faurisson, il y a des négationnistes de l’Anthropocène. Il est de la toute première importance de comprendre que la toute puissance – au besoin armée – fut et reste le cadre dans lequel ils ont vécu, dans lequel ils demeurent, et qui a façonné leur être intérieur : ils s’y accrocheront jusqu’à la dernière minute. En ce sens, avec Auschwitz, le nucléaire, « fils-aîné-de-la-science » reste une clé de voûte capitale de l’imaginaire occidental qui mène le monde à sa perte. La toute-puissance nucléaire représente le saut de la mort où certains veulent entraîner l’Humanité et l’écosphère. La déconstruction de cet imaginaire, pièce à pièce, est une condition nécessaire, bien qu’insuffisante, pour préserver notre humanité au quotidien et aussi celle de nos descendants.

 Douzième thèse

Tout comme le néolibéralisme financier n’a plus besoin de parler politique pour faire la politique du monde, mieux, pour mettre à genoux des dirigeants politiques partout asservis à leurs soifs de liquidités, le nucléaire, qui, partout, a été promu par des complexes scientifico-militaro-industriels et a été imposé par des minorités, se présente comme l’assurance d’un confort à bon marché incontournable, encouragé en cela par la consommation de masse et une politique de croissance illusoire. Encouragé aussi par l’absence d’études exhaustives contradictoires en la matière, il se paye le luxe de se présenter sur le papier glacé des médias comme une énergie propre et économique. Et même après la catastrophe de Fukushima, s’il advenait que des aménagements de sécurité en viennent à lui être imposés, le village nucléaire international a d’ores et déjà préparé sa réponse : il exige d’ores et déjà en contrepartie de pouvoir prolonger l’exploitation des installations le plus longtemps possible (29), c'est-à-dire jusqu’à la dernière minute.

 Treizième thèse. Le nucléaire, essence du politique « postmoderne ».

Avec la domination sans partage du mode de connaissance scientifique, tous les verrous qui rendaient le réel incontournable et avivaient ainsi le DESIR ont sauté. Le réel a alors acquis un autre statut : de fondamentalement inatteignable, il est prétendument devenu à la portée de l’homme demain matin. Cela peut s’énoncer autrement : les sciences peuvent nous dire tout le vrai, plus rien ne peut échapper, la transparence est possible et toute entrave à la jouissance immédiate trouvera sa solution finale (c’est ainsi que doivent se penser les projets de géo-ingénierie). Ce paradigme de la toute-puissance est au cœur de l’invention et de l’utilisation de l’énergie atomique. C’est, – avec ses dangers incommensurables – ce qui fait du nucléaire l’essence philosophique incontournable du politique postmoderne. En ce sens, la toute-puissance constitutive du nucléaire participe bien plus que d’une idéologie ou d’un récit de fondation. Elle s’appuie et relève d’une nouvelle conception de l’humanité, post-prométhéenne, et son anthropologie reste à faire.

 Quatorzième thèse.

La synergie avec le néolibéralisme financiarisé est devenue envahissante, très préoccupante même, car la consigne sociale de celui-ci est de faire sauter toutes les bornes, de gommer la notion même de limite, pour pouvoir miser sur une croissance et une expansion sans fins, avec pour horizon une catastrophe planétaire à laquelle les uns et les autres préparent subrepticement les populations (30). Au niveau individuel, il est devenu hautement recommandé de faire appel à la technoscience pour éviter d’avoir à se confronter au réel et à éprouver la perte, la solitude, la finitude, notre mortalité – autrement dit la condition humaine qui nous amènerait à prendre conscience et à réagir.

 Quinzième thèse. Appels à la surrection des consciences.

La critique, pour identifier les éléments négatifs d’un ordre social et politique, a besoin d’un horizon de sens, et le seul qui vaille, en ces domaines, c’est celui de l’émancipation. Or, de ce côté-là, le ciel s’était bien obscurci, et pour de multiples raisons, depuis quelque temps. Ce qui fait que, souvent, l’analyse n’a plus de points d’appui, plus de repères, évite même soigneusement de développer toute problématique : « on se réfère à un ensemble de connaissances très élaborées mais qui deviennent sans conséquences, dont il ne sera rien tiré. C’est par exemple ce que l’on rencontre fréquemment dans certains discours académiques : une accumulation de connaissances très développées, très intéressantes, un déploiement de savoirs rigoureux et argumentés qui, pourtant, peuvent très bien ne jamais devoir engager leur auteur et se révèlent dès lors sans aucun effet (31) ». C’est le prix, depuis trente ans, des défaites, des reniements, de l’envahissement néolibéral et d’une forme de servage inédite dans l’histoire de l’humanité. Faute de cet horizon d’émancipation, le devenir catastrophique du monde et du vivant – qu’il ait pour origine des activités industrielles, nucléaires ou financières – est venu en prendre la place dans la critique. Et après tout, ce pourrait être un retour salutaire à la matérialité, à la réalité… de ce que nous vivons.

 1) Le temps est venu de lancer des groupes de recherche, des conférences ou des séminaires autonomes, bref toute forme d'élaboration intellectuelle indépendante, sans laquelle aucun changement de cap ne pourra se faire. Sans oublier que les réseaux informatiques ne pourront jamais rivaliser avec l’action coordonnée des hommes, le devenir de tous les « printemps arabes » est une malheureuse illustration de cette autre nécessité : celle de « penser le monde » avant que d’autres le fassent à notre place et s’emparent de l’espace de démocratie ainsi créé. Les militaires, les économistes, les politiques libéraux, avaient très tôt compris (dès 1947 avec la société du Mont Pèlerin) qu’il ne pouvait y avoir d’issue politique en leur faveur sans avoir au préalable gagné la bataille des idées : ils ont financé les radios, les télévisions, les universités, les « think-tank » par milliers pour défaire l’ex-URSS puis les mouvements contestataires des années 60 et ont préparé patiemment l’avènement néolibéral. Hors cette lutte déterminée sur le terrain des idées, il n’y a pas d’autre possibilité de les empêcher de mener le monde et notre humanité à leur perte. Le nombre de décennies qu’il nous reste pour les arrêter se compte vraisemblablement sur les doigts d’une main … Pour le moment, ce que nous avons tous à y gagner, c’est qu’il n’y a pas non plus d’autre manière de rester humain, jour après jour.

 2) En 2011, pour le vingt-cinquième « anniversaire de Tchernobyl » et suite à la catastrophe de Fukushima, un appel (32) intitulé « Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima : des crimes contre l’Humanité » fut publié. Cet appel à la conscience morale et politique, signé par un certain nombre de philosophes et de personnalités – Paul Ariès, Marc Atteia, Marie-Christine Gamberini, Raphaël Granvaud, Alain Gras, François Jarrige, Eva Joly, Baudouin Jurdant, Paul Lannoye, Serge Latouche, Frederick Lemarchand, Corinne Lepage, Stéphane Lhomme, Jean-Marie Matagne, Jean-Marie Pelt, Pierre Rabhi, Jacques Testart, Alexeï Yablokov – traduit en six langues (dont le japonais et le chinois) fit le tour du monde sur Internet. Fallait-il le transformer en pétition internationale ou le laisser subsister ainsi, fragile, à la surface de la mémoire, comme l’émotion qui suit l’écoute d’une œuvre musicale, surtout quand l’artiste indique au public que le silence qui suit fait partie de l’interprétation qu’il vient de lui donner ? En tous cas, nous avons eu la satisfaction de constater (y compris aux Etats-Unis) qu’il n’est pas rare maintenant de voir CES CRIMES appelés par leurs noms. Cet appel est une illustration des possibilités immenses de chacun d’entre nous, pour peu que nous en sentions la nécessité en tant qu’être humain.

 3) Une des marques essentielles d'une œuvre artistique, c’est qu’elle bouleverse notre être. Et, lorsqu'une chape de plomb pèse sur les mémoires et les consciences, une œuvre d’art peut contribuer de manière décisive à dessiller nos regards, car elle a ce pouvoir incomparable de nous rendre envisageable (et même représentable) ce qui est socialement refoulé et qui fait défaut dans l’élaboration intellectuelle. En France, des films comme Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls, et Shoah de Claude Lanzmann, quelques réserves que l'on y fasse, furent des événements multidimensionnels aussi bien par leur propos que leur ampleur de vues. De même, les œuvres de Primo Levi, Robert Antelme, David Rousset, Charlotte Delbo, Elie Wiesel, Jorge Semprun, Jean Améry, furent d'une importance décisive lorsque dans l’après-guerre, il fallut rendre la voix à ces rescapés des camps de la mort alors que l’on s’échinait à en étouffer la parole une seconde fois. Autrement dit, lorsque le silence ou le refoulement sont de mise, les artistes ont un rôle de dévoilement irremplaçable (33). Or il s’est passé quelque chose de fondamental à Hiroshima sur le plan de la tragédie, du pathétique, du politique, de la vie elle-même. Souvenons-nous que les cinquante-cinq réacteurs japonais ont avant tout été construits sur les failles de cette mémoire. Il y aura d’autres Fukushima, ici même, car du point de vue de la mémoire, nous avons des béances au moins aussi imposantes que celles du peuple japonais, et le déni en plus (le parallèle entre les deux pays est d’ailleurs fort instructif). C’est pourquoi nous attendons avec impatience des Canto Général écrits par des Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant, Viviane Forrester, André Velter, Armand Gatti, Beaudoin de Bodinat et orchestrés par un Mikis Theodorakis. C’est un Sophocle, un Euripide ou un Eschyle que nous espérons, pour mettre en scène la tragédie, unique, que l’humanité et le monde sont en train de vivre.

Jean-Marc Royer décembre 2012/janvier 2013.

 Je tiens à remercier Christophe Bonneuil pour ses encouragements et Alain Gras, Quentin Hardy, Serge Latouche et Sandrine Marchal pour leur relecture de cet article.
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 1 Gérard Rabinovitch, Inquiète ton voisin comme toi-même. Notes critiques sur Modernité et Holocauste de Zygmunt Baumann, Travailler, 2003/2 n° 10, p. 163-184. DOI : 10.3917/trav.010.0163, http://www.cairn.info/revue-travailler-2003-2-page-163.htm

 2 Et sur celles de Michel Henry, Jean-Claude Michéa, Majid Rahnema, Cornélius Castoriadis, Jean-Pierre Lebrun.

 3 Roger Belbéoch a lu la presse internationale. Il fait part de ce travail dans une interview (en bas de page) sur http://www.dissident-media.org/infonucleaire/brevet_bombea.html. Tout cela revenait aussi à présenter cette explosion comme l’implacable illustration du fait que, dorénavant, nul ne pourrait plus jamais arrêter la marche du Progrès car sa puissance dépassait maintenant, et de loin, toute volonté humaine.

 4 16 juillet, 6 et 9 août 1945.

 5 Les premiers mots d’Oppenheimer furent ceux de la Bhagavad-Gîtâ : « Maintenant, je suis devenu la mort, le destructeur des mondes ».

 6 Dispositif : « tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler, et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants », Giorgio Agamben, Qu'est-ce qu'un dispositif ? Rivages, 2007.

 7 Il s’agit là, pour le dire vite, de l’utilisation des moyens démocratiques contre la démocratie, ce qui tend à devenir systématique en Occident. Une autre forme en est la dénégation des votes populaires rejetant les différents traités européens ou, les « ajustements » législatifs et constitutionnels des pouvoirs exécutifs afin de se soustraire aux poursuites judiciaires encourues à la suite d’agissements délictueux ou criminels ou pire encore et plus récemment, la nomination de quatre financiers ayant transité par la même banque, Goldmann Sachs, à la tête de responsabilités gouvernementales européennes en dehors de tout processus démocratique.

 8 Ingolf Diener, Namibie, une histoire, un devenir, Éditions Karthala, Paris, 2000, http://www.lautresite.com/new/edition/explo/hereros/ et http://pressafrique.com/m102.html. De même, au Congo, entre 1890 et 1907, durant le règne du roi Léopold II de Belgique des massacres de masse avec ordre d'extermination des villageois ont été constatés, tout comme dans l’Oubangui-Chari. Sources : Arthur Conan Doyle, Le crime du Congo belge, Nuits rouges, 2005. Adam Hochschild, Les fantômes du roi Léopold ; la terreur coloniale dans l’État du Congo, Tallandier, 2007. Jules Marchal, E.D. Morel contre Léopold II ; l'histoire du Congo, 1900-1910, t. 1 et 2, Harmattan, 2003, 2010. Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, Flammarion, 2012. http://www.pressafrique.com/m396.html et Stephen Smith, Géraldine Faes, Bokassa 1er; un empereur français, Calmann-Lévy, 2010.

 9 En 1915 déjà, un scientifique américain, Vernon M. L. Kellogg est nommé directeur du Comité d’aide aux Belges par le gouvernement des USA. C'est à ce titre qu'il se trouve au Grand Quartier Général allemand en 1917 et qu'il en rapporte un livre peu connu " Headquarters Nights, a record of conversations and experiences at the headquarters of the german army in France and Belgium " dans lequel il rapporte les théories âprement discutées au GQG allemand qu'il a fréquenté au jour le jour. J’en ai traduit quelques extraits dans mon ouvrage, La science creuset de l’inhumanité. Décoloniser l’imaginaire occidental, l’Harmattan, 2012, pp 49 et 152.

 10 Et jusque dans la législation suédoise des années 1970. Cf. André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler, Flammarion, coll. « Champs », 2009.

 11 Cf. mon ouvrage, opus cité, pp 43-65 et 82-85.

 12 Contribution personnelle au séminaire GATSEG de Dominique Pestre, Sezin Topçu, Soraya Boudia, Amy Dahan. Mai 2012.

 13 Je renvoie à ce sujet à la publication du Comité Européen sur le risque de l’Irradiation, (CERI) Recommandations 2003 du CERI, Éd Frison Roche, 2004, p 168 ou au rapport en anglais sur : www.euradcom.org ou aux publications de l’académie des sciences de New-York ou bien encore à mon ouvrage Note XV. Activités nucléaires depuis 1965 : plus de soixante-cinq millions de morts, p 178.

 14 Cf. à ce sujet l’appel international « Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima : des crimes contre l’humanité » traduit en plusieurs langues et signé par une vingtaine de philosophes et personnalités publiques.

 15 La première bombe atomique qui explosa le 16 juillet 1945 avait pour nom de code Gadget.

 16 Forclusion ou enfermement. Dire que le « sujet », au sens philosophique, est forclos ou « barré », comme aurait dit Lacan, c’est dire qu’il ne peut advenir à lui-même. Autrement dit, les sujets cèdent le pas à leurs ombres, dans une quête sans fin de la jouissance immédiate, ce qui convient à merveille au système marchand qui sous-tend le « totalitarisme démocratique ».

 17 Cf. à ce sujet l’œuvre de Cornélius Castoriadis.

 18 Concept emprunté à Jean-Pierre Lebrun dans son maître ouvrage, La condition de l’homme n’est pas sans conditions, Denoël, 2010.

 19 Beaudoin de Bodinat, La vie sur Terre. Réflexion sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes, Encyclopédie des nuisances, 2008.

 20 Extension du concept d’Alain Gras : les Macro systèmes complexes.

 21 Occupation militaire préparée par les États-unis sous le nom d’AMGOT, Allied Military Government of Occupied Territories.

 22 « Indépendance » largement appuyée sur un néocolonialisme plus destructeur que l’ancien. Cf. à ce sujet Raphaël Granvaud, Areva en Afrique ; une face cachée du nucléaire français, Agone, 2012.

 23 Cf. à ce sujet le rapport de la commission indépendante de la Diète japonaise sur Fukushima, The national Diet of Japan. Fukushima Nuclear Accident Independent Investigation Commission (NAIIC), année 2012.

 24 En septembre et octobre 1945 au moins trois commissions états-uniennes différentes se rendirent au Japon. Cela commençait à tirer à hue et à dia. Mac Arthur exigea donc une réunion de ces entités de manière à mieux les contrôler.

 25 Atomic Bomb Casualty Commission, fondée en 1946 par les États-Unis dans le Japon occupé pour récupérer le maximum d’éléments, d’enquêtes et de travaux sur les irradiations et les contaminations atomiques afin d’en interdire l’accès ou l’usage ultérieur.

 26 Cf. l’étude que j’ai coordonnée avec P. Fetet, publiée sur son blog : http://ddata.over-blog.com/4/37/62/00/piscine-4/Piscine-du-R4-V9–2-.pdf

 27 Pour se faire une idée précise ce cette complicité, il faut absolument regarder la seconde partie de la conférence de presse de l’ASN du 28 juin 2012 sur son site : http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2012/Rapport-de-l-ASN-2011-il-y-aura-un-avant-et-un-apres-Fukushima.

 28 Entre 1942 et 1961, diverses « expériences » d’irradiation et d’inoculation radioactives furent pratiquées sur des enfants et des adultes civils et militaires états-uniens dénommés HP, Human Products : JP Desbordes, Les cobayes de l’apocalypse nucléaire, Roularta, 2011, pp 54 à 62.

 29 Ce qui revient à tenter de reprendre d’une main ce que l’on a accordé de l’autre, sans parler de toutes des stratégies de lobbying destinées à affaiblir le contenu des recommandations applicables, ni des lenteurs bureaucratiques opposables, ni du détournement des règles dans l’application des procédures obligatoires, ni des externalisations galopantes. Cf. à ce sujet le rapport de la commission indépendante de la Diète japonaise sur Fukushima, opus cité.

 30 Cf. le projet Ethos in bulletin Criirad : http://www.criirad.org/actualites/tchernobylfrancbelarus/conclusionsonu_aieasept05/tu22mensonges.pdf

 ou la vidéo de Michel Fernex : http://www.youtube.com/watch?v=tyiSRxLYAss ou encore : http://www.dissident-media.org/infonucleaire/codirpa.html ou bien encore l’étude des projets Ethos, Core, Sage, Parex in Marc Atteia, Le technoscientisme, le totalitarisme contemporain, Yves Michel, 2009.

 31 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans condition, Denoël, 2010, p 23. Voir aussi Un monde sans limite, érès, 2009.

 32 Publié par les Zindigné(e)s en novembre 2011 et mis en ligne par Pierre Fetet sur le blog dédié à Fukushima : http://fukushima.over-blog.fr/article-appel-international-hiroshima-tchernobyl-fukushima-des-crimes-contre-l-humanite-101458831.html

 33 L’horreur économique de Viviane Forrester, un essai publié en 1996, diffusé à trois cent cinquante mille exemplaires et probablement lu par un million de Français, traduit en vingt-quatre langues a, de ce point de vue, constitué un événement qui était l’œuvre, comme dans toutes les périodes troubles, d’un artiste, en l’occurrence d’un écrivain-essayiste. D’où cette dernière thèse en forme de triple appel.


.Source : http://fukushima.over-blog.fr/article-15-theses-sur-le-nucleaire-116587970.html

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