Le terrible destin des liquidateurs de Fukushima

Liquidateurs FukushimaDe l’ouvrier ordinaire aux liquidateurs…il n’y a qu’un pas

Recensement des sacrifiés: Les liquidateurs de Fukushima

 

 

 

 

Employé pour désigner les personnes civiles et militaires qui sont intervenues après l‘accident nucléaire de Tchernobyl, le terme « Liquidateurs «  revient tristement aujourd’hui après la catastrophe de Fukushima. Surnommés « Héros du nucléaire » , « Kamikazes de l’atome », ou encore  « Fukushima 50 », « liquidateur de Fukushima » par la presse anglo-saxonne, les 50 travailleurs de  Fukushima restés sur place (selon les estimations du gouvernement japonais) lors des premières heures de l’accident et des explosions de rejets nucléaires au tout début de la catastrophe, sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux, car rejoints par des volontaires.

Combien sont-ils ? Là encore, ni Tepco ni le gouvernement ne semblent vouloir communiquer de chiffres précis, et les bribes d’informations récupérées et diffusées par les journalistes ainsi que les témoignages toujours très limités,  ne permettent  pas non plus d’établir aisément leur recensement ni d’appréhender la réalité du quotidien de ces hommes.

On sait qu’en France par exemple, lorsque les tranches des centrales s’arrêtent, environ 1500 à 2000 employés interviennent pour de la simple maintenance (dixit Annie Thébaud-Mony, sociologue à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), spécialiste des conditions de travail en centrale nucléaire).  Et suite à l’accident nucléaire de Tchernobyl, 600 000 liquidateurs avaient été officiellement reconnus… (sources : « Kamikazes » à Fukushima, « liquidateurs » à Tchernobyl : le salaire de la peur).

On sait aussi qu’il faudra énormément de temps pour réparer, refroidir, et assainir le site de la centrale de Fukushima-Daiichi.  Ce qui reste tabou en revanche,  c’est la manière dont Tepco recrute ses salariés… Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Comment et dans quelles conditions travaillent-ils ? A quels risques sont-ils exposés ? Trois liquidateurs ont déjà perdu la vie au sein de la centrale, quelles sont les véritables causes de leur décès ?

 

Un travail en équipe à la centrale : qui se trouve sur place?

Le bon fonctionnement d’une centrale nucléaire dépend de toute une équipe :

– L’équipe d’exploitation qui veille au bon fonctionnement de la centrale.

– Les agents de conduite,  responsables des ajustements des barres de contrôle autour des barres de combustible, au sein du réacteur, pour répondre à la demande du réseau électrique.

– Les agents de sûreté et de radioprotection, qui s’occupent de la vérification du matériel de mesure, notamment des appareils de détection des fuites radioactives. Leur rôle est de surveiller, de mesurer, d’observer et de protéger le personnel d’une éventuelle contamination radioactive.

– Les agents de maintenance, en première ligne en cas de danger  ils surveillent et entretiennent le dispositif autour de chaque réacteur.

– Les agents de la chimie et de l’environnement.

– Les agents de sécurité.

– Les agents de la gestion et de l’administration

 

Mais quand survient la catastrophe,  les opérateurs des centrales nucléaires doivent trouver des « volontaires »:

Le profil type du liquidateur 

Des volontaires… Qu’est ce qui peux pousser un homme à quitter sa vie jadis tranquille, dorénavant bouleversée par un terrible drame naturel puis nucléaire, pour se rendre au coeur de la tragédie et d’un danger sanitaire encore bien présent ?

Certains sont pères de famille, d’autres pas, certains travaillaient déjà pour Tepco ou pour des sociétés sous-traitantes, d’autres pas, certains sont déjà familiarisés avec l’univers du nucléaire, d’autres pas du tout…

Tous, tentent au péril de leur vie de réparer ou plutôt de limiter les dégâts.

 

Les méthodes de persuasion de Tepco 

Si leur effectif fait donc partie d’un ensemble flou décidément persistant , on sait tout de même que les « Liquidateurs » sont payés bien au delà  des salaires moyens : selon l’agence ReutersTepco proposerait jusqu’à 3500€  par jour pour un travail de quelques minutes à quelques heures sur les zones les plus exposées à la radioactivité. Mais beaucoup d’entre eux sont bien moins payés que cela (voir l’article de l’Humanité : « 3500 euros pour réparer la centrale de Fukushima »).

Des salaires très attrayants qui débarquent bien entendu dans un contexte où les populations ont fort besoin de se reconstruire… Et c’est dans ce dilemme que culpabilisation, besoins, et sentiments du devoir s’entremêlent au dépend de la santé d’êtres humains prêts à se sacrifier pour leur famille, leur pays, ou pour améliorer leur train de vie dans ce qu’ils voient sans doute comme une unique mais néanmoins fatale opportunité. Ce sont par ailleurs les plus démunis, les plus endettés qui viennent aussi travailler à la centrale.

 Ma société m’a offert 200 000 yens (environ 1 750 €) par jour.  En temps normal, j’aurais pris ça pour un boulot de rêve, mais ma femme a fondu en larmes et m’a dissuadé, alors j’ai refusé… , témoigne un employé d’une compagnie sous-traitante .

Peu à peu les langues se délient malgré la pression évidente de Tepco, et pour cause…  le moindre témoignage ouvre la brèche sur des méthodes « d’embauche » on ne peut plus critiquables :

Hiroyuki Kohno est contrôleur de radioactivité. 44 ans, célibataire et sans enfants, il accepte de retourner sur les lieux du drame après avoir reçu un mail d’une compagnie affilée à Tepco : « Nous souhaiterions que vous veniez travailler à la centraleLe pouvez-vous ? »

Solidaire de ses collègues avec qui il compte bien sauver le Japon , il décide de repartir pour la centrale :
Nous mangeons tous dans le même bol. Ce sont des amis avec qui j’ai partagé mes peines et mes joies. C’est pour cela que j’y vais. Nous n’avons pas l’intention de mourir mais de sauver le Japon ( infos et témoignages sur Ouest-France.fr : « Tepco Recrute des « liquidateurs » pour la centrale de  Fukushima » )

 

Les « burakumin »

On pourrait s’imaginer qu’il faille une connaissance, même infime,  du travail nucléaire pour être « Liquidateur » mais Tepco ne s’arrête pas uniquement à ses employés.

Victimes de discriminations depuis l’époque féodale, les « burakumin »  sont encore aujourd’hui sujets aux ségrégations. Rejetés pour leur travail qualifié de barbare,  les burakumin exerçaient des métiers liés au sang,  à savoir  l’abattage des animaux et les traitement de peaux.

 

Issus de deux anciennes communautés ( les eta  et les hinin), ils sont à présent dispersés dans les grandes villes et dans les ghettos (environ 2 millions).

Ce qu’il faut noter dans le parcours social des burakumin, c’est qu’ils font partie d’une couche sociale « indélébile » qui les renvoie systématiquement aux modes de vie de leurs ancêtres. Des propriétaires qui refusent de leur louer des appartements, des entreprises qui les rémunèrent avec des salaires revus à la baisse, ou encore des « basses oeuvres » que d’autres ne veulent pas faire leurs sont proposées… Alors évidemment…Tepco ne manquera pas de « s’armer » de burakumin..

Burakumin

 

En route vers la mort ?

travailleurs du nucléaire à la centrale de fukushima

Les niveaux des rayonnements dans la centrale sont très élevés, incroyablement élevés comparés aux conditions normales. Je sais qu’en y allant cette fois, je reviendrai avec un corps qui ne sera plus capable de travailler dans une centrale nucléaire.  confie M. Kohno.

Parce qu’en réalité, même s’il y a un système de rotation entre les équipes des liquidateurs qui vise à ne les exposer que peu de temps aux doses de rayonnements ionisants, un liquidateur absorbe en 15 minutes l’équivalent de 100 mS/v par an…

schema explicatif des risques relatifs aux expositions des doses dûes aux radiations

Et comme si ça ne suffisait pas : Tepco a demandé au gouvernement japonais de relever le niveau de la dose radioactive que peuvent légalement recevoir ceux qui travaillent à Fukushima. affirme Julien  Collet, directeur de l’environnement et des situations d’urgence pour l’autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Conséquences : les  liquidateurs absorbent donc jusqu’à 250 mSv, contre 100 auparavant. Ce qui  représente 12 fois la dose autorisée pour les employés des centrales nucléaires en temps normal. ( Pour en savoir plus, voir  l’article « Quels risques pour les « liquidateurs » de Fukushima »  usinenouvelle.com )

L’encadrement moral, sanitaire et médical des ouvriers de Fukushima

Mais alors comment Tepco s’organise pour soutenir et maintenir ces hommes ?

Des combinaisons, des lunettes et des masques de protections leurs sont fournis  ainsi que des compteurs geiger (détecteurs de radiations)…  Ils prennent après leur travail des douches de décontamination avec et sans combinaison, avant de passer un contrôle de radioactivité sur tout le corps pour voir s’il ne reste « plus rien ».

Sauf que : « Equipés de combinaisons et de masques de protections, les « liquidateurs » sont malgré tout exposés aus radiations » Le Point.fr

 

Sous leur combinaison les liquidateurs ne sont alors visiblement pas protégés du pire…

Trois hommes ont été hautement irradiés par le simple fait d’avoir marché dans une flaque d’eau de mer radioactive. Comment se fait-il que ces hommes là aient pu travailler sans bottes adaptées? On devine que leur irradiation aurait pu être largement évitée.

Mais ce n’est pas tout, les conditions dans lesquelles Tepco héberge ces « Kamikazes de l’atome » sont déplorables: « Les employés dorment en groupe dans des salles de réunion, les couloirs, ou près des salles de bain. Tout le monde dort à même le sol. […] Nous mangeons deux fois par jour. Au petit-déjeuner, des biscuits énergétiques, au dîner du riz instantané et des aliments en conserve » explique Kazuma Yokota, surveillant de la centrale. Nous n’avons pas ici le Japon que l’occident a l’habitude de voir, mais une précarité visible, palpable.

 

 

Du silence de Tepco, à celui infligé aux « Liquidateurs »…

Mort d’un liquidateur, pas à cause des radiations?

Trois « Liquidateurs » sont déjà morts à la centrale. Deux le jour du tsunami, et le dernier, âgé d’une cinquantaine d’années,  est décédé le jeudi 6 octobre dernier suite à un « malaise ».

Mais le « malaise » évoqué par Tepco qui se blanchit de toute responsabilité  (« Il est difficile dès lors d’imaginer que la radioactivité puisse être à l’origine de son décès » TEPCO )  ne fait qu’amplifier le doute sur les véritables états de santé des travailleurs de Fukushima, et sur la façon dont ils sont traités.

D’une part parce que Tepco n’a pas attendu de résultats d’analyses pour se précipiter dans les explications en affirmant  que ce liquidateur avait travaillé 46 jours à l’installation des réservoirs pour le traitement des eaux contaminées, à l’extérieur des bâtiments de Fukushima-Daiichi, que celui-ci n’aurait reçu qu’une dose cumulée de radiation de 2,02 millisieverts c’est à dire, bien inférieure à la limite annuelle autorisée, et que, par conséquent, il ne pouvait être mort des causes de radiation.

Mais certains travailleurs de Tepco ont confié qu’ils n’avaient pas tous toujours porté de dosimètres, faute de ne pas en avoir en nombre suffisant, et qu’il était courant qu’ils empruntent celui d’un ouvrier au repos. Les mesures de Tepco, si ces ouvriers disent vrai, pourraient donc très bien être erronées. Car bien évidemment un dosimètre ne doit pas se prêter pour des raisons évidentes de sécurité pour leur vie. 

 

J Village, le village inaccessible où tout le monde se tait…

Et si nous évoquions précédemment les conditions plus que déplorables dans lesquelles les travailleurs de Fukushima sont hébergés, que le doute persiste encore sur leur effectif réel, J-Village (le village qui loge les milliers de travailleurs du nucléaire) est le témoin silencieux d’une atmosphère polluée… et non moins pesante .

Une censure imposée aux employés, mêlée aux mensonges d’un employeur qui semble négliger toute intelligence. Car en effet, si l’on s’appuie sur les données officielles précédemment citées on doute fort qu’un liquidateur même à l’extérieur des bâtiments, de Fukushima-Daiichi ne reçoive qu’une dose 2,02 millisieverts en 46 jours…

Des mensonges qui apparaissent comme un nez au millieu de la figure de  Tepco… 

…et quand un liquidateur se convertit en dénonciateur, il est alors possible de remettre en cause l’organisation et le sérieux de la compagnie. Des négligeances et dissimulations sont révélées au grand jour par un ancien salarié de la centrale: Toshio Kimura, (ingénieur formateur) témoigne dans la vidéo ci-dessous l’indifférence de Tepco face à l’alerte du tsunami. (cliquer sur cc sur le lecteur pour avoir les sous-titres)

La mort ou les maladies des liquidateurs viennent s’additionner à leur tour aux déjà trop nombreuses victimes à retardement. Les futures mamans mettront au monde des enfants handicapés, des enfants verront leur camarades mourir bien trop jeunes, des familles seront de près ou de loin touchées  par le cancer, la leucémie…

Pourtant,  dans l’élan d’une abominable ironie,  les « héros de Fukushima » continuent jour après jour de venir travailler sur le site de la centrale: ils  reconstruisent et assainissent avec courage et détermination, ce qui, délibérément est en marche de les détruire à petit feu, minute après minute…

A Fukushima, les dosimètres sont censés devenir leurs plus fidèles témoins : de la première dose, au dernier soupir.

Source : http://kibo-promesse.org/2011/10/les-liquidateurs-de-fukushima/

Plus d’info sur http://www.scoop.it/t/fukushima-informations?page=80

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