2 décembre 2011 archives

La centrale ou la bougie

La centrale ou la bougie

Nucléaire ou la bougie

Comparer la peur du nucléaire aux craintes suscitées par le progrès au Moyen-Âge, comme l’a fait Nicolas Sarkozy, est un «discours absurde», selon Jean-Baptiste Fressoz, historien du climat: ce n’est «intéressant (que) si on le prend en tant que symptôme, symptôme de la ténacité bête et obstinée des arguments technophiles les plus éculés».

Tous les poncifs nucléophiles étaient au rendez-vous du discours de Nicolas Sarkozy sur le nucléaire (centrale de Tricastin, 25 novembre 2011). Avec sa syntaxe inimitable et approximative, notre président s’emportait contre la possibilité de réduire la part du nucléaire dans la production électrique: «Il n’est pas le temps de revenir à l’époque du Moyen Age, des peurs moyenâgeuses où l’on se méfiait du progrès […]. On ne va pas retourner à l’époque de la bougie!»

Certes non. Entre «l’époque de la bougie» et le programme électronucléaire français des années 1970, quelques autres possibilités techniques se sont naturellement présentées. Et c’est précisément de cela qu’il faut discuter, sans anathème. D’un certain point de vue, la question du nucléaire n’est pas environnementale, elle n’est pas même celle du risque, pourtant avéré, de cette technologie. Elle est simplement économique: sur le long terme, une fois pris en compte le coût abyssal du stockage des déchets durant des milliers d’années et celui du confinement des anciennes centrales, le nucléaire paraît être une mauvaise affaire dont il convient de comparer la rentabilité avec les autres filières énergétiques.

Mais le but de cet article n’est pas de prêcher la diversité énergétique ou d’expliquer une fois encore le rôle tout à fait minime du nucléaire dans la réduction des émissions de CO2. Non, le discours absurde de Sarkozy est intéressant si on le prend en tant que symptôme, symptôme de la ténacité bête et obstinée des arguments technophiles les plus éculés.

Commençons par l’inusable bougie chère à nos nucléocrates. L’argument ne date pas d’hier. Il apparaît en effet en 1819 durant la grande controverse suscitée par le gaz d’éclairage. Cette technologie extrêmement polluante et dangereuse fut âprement discutée. D’un côté, les opposants s’inquiétaient du risque d’explosion des gazomètres (construits en ville) et défendaient l’huile d’éclairage produite à partir de colza qui présentait le mérite de fournir un combustible renouvelable. De l’autre, les industriels et les académiciens prônaient l’usage massif du charbon, qui devait entraîner le développement de l’économie française sur le modèle britannique. La bougie devient le symbole d’une lumière faible et dépassée. Dans ce débat, Nicolas Clément-Désormes, un chimiste renommé, professeur à l’Ecole centrale des arts et manufactures, proposa une évaluation sereine du gaz d’éclairage. Après un examen minutieux de son coût, il arriva à la conclusion qu’il valait bien mieux miser sur le perfectionnement technique des lampes à huile.

Le point est important et mérite que l’on s’y arrête: l’axe du temps scandé par les innovations n’est pas un axe de leur valeur. Le gaz d’éclairage avec sa débauche de gazomètres et de conduites souterraines ne fait qu’imiter de manière coûteuse la simplicité merveilleuse de la lampe à huile qui a en outre le mérite d’être légère, portable et de préserver l’autonomie des individus. Les notions d’innovation ou de progrès se retournent comme un gant: «Supposons que l’éclairage au gaz ait été le premier connu, qu’il soit partout en usage, et qu’un homme de génie nous présente une lampe à huile ou une simple bougie allumée. Que notre admiration serait grande devant une si étonnante simplification». (1)

A côté de la bougie, le deuxième argument historique que l’on trouve sans cesse sous les plumes technophiles est celui des peurs que nos ancêtres auraient conçues à l’endroit des premiers trains. Celles-ci ne manquent jamais d’être rappelées afin de discréditer les peurs irrationnelles que susciteraient, de nos jours encore, les innovations.

Par exemple, en 2004, alors que la controverse sur les OGM battait son plein, le PDG d’une start-up de biotech expliquait dans le journal Le Monde: «Les innombrables articles écrits pour faire peur à l’opinion publique pourraient alimenter un bêtisier du même niveau que ce qu’on a pu écrire au moment de l’apparition du chemin de fer». L’année précédente, le philosophe des sciences Dominique Lecourt dénonçait les «biocatastrophistes» en se référant à un atavisme technophobe: «En 1835, devant le chemin de fer, les membres de l’Académie de médecine de Lyon demandèrent solennellement: « Est-ce bien utile? N’avons-nous pas des moyens bien plus sûrs et naturels de nous déplacer? Ne risquerons-nous pas des atteintes à la rétine et des troubles de la respiration à grande vitesse, les femmes enceintes ballottées ne vont-elles pas faire des fausses couches? »». L’importance qu’a prise cet argument mérite que l’on s’y arrête.

Il s’agit en fait d’un mythe dont on peut suivre la naissance, l’embellissement et la propagation. En 1863, dans le compte rendu d’un livre sur les maladies professionnelles des cheminots, Louis Figuier, le grand vulgarisateur des sciences du XIXe siècle, compose un petit bêtisier médical sur les chemins de fer. Il mentionne, sans donner de référence, des accusations proférées par de doctes médecins: les chemins de fer causeraient des avortements, fatigueraient la vue et causeraient même des troubles nerveux. Quelles que soient les sources, sans doute imaginaires, de Figuier, on ne trouve nulle trace du rapport de 1835 mentionné par Dominique Lecourt. L’académie de médecine de Lyon n’a d’ailleurs jamais existé.

La construction du mythe se poursuit en Allemagne. En 1889, Heinrich von Treitschke mentionne, sans donner de références, un rapport de 1835 (même date que le pseudo rapport lyonnais) du collège médical de Bavière qui conseille d’interdire les chemins de fer car leur vitesse faramineuse pourrait causer un «delirium furiosum» aux passagers. Cette anecdote connaît un succès extraordinaire. On la retrouve dans une histoire des chemins de fer en 1912, dans Mein Kampf en 1922 (où Hitler s’en sert pour ridiculiser les experts), puis dans différents travaux historiques sur la révolution industrielle ou les chemins de fer des années 1960-80, à chaque fois mentionnée à propos des «résistances au progrès».

Le but de ces précisions historiques n’est pas seulement de démystifier le discours technophile. Elles pointent en effet vers deux conclusions importantes pour la compréhension des enjeux actuels.

Premièrement, les innovations majeures du XIXe, que ce soit la vaccination, la vapeur, l’industrie chimique, le gaz d’éclairage ou les chemins de fer ont suscité des controverses considérables. Si les oppositions ont généralement été contournées ou supprimées, elles ont néanmoins eu un rôle déterminant dans la sécurisation de ces technologies. Par exemple, les innombrables plaintes, procès et pétitions n’étaient pas contre les chemins de fer mais contre les accidents qu’ils provoquaient et contre les compagnies soupçonnées de faire des économies au détriment de la sécurité des voyageurs. La sécurité actuelle des systèmes ferroviaires est l’héritière de ces contestations.

Deuxièmement, le XIXe siècle, que l’on caricature en siècle du progrès, n’a pas été simplement technophile. Nous ne sommes pas les premiers à distinguer dans les lumières de la science, l’ombre de ses dangers. Par contre, il est vrai que les modernisateurs ont réussi à passer outre les oppositions, les dangers, et la conscience aiguë que l’on avait de ces dangers. Et cela doit nous garder de tout optimisme naïf quant au contemporain. La visibilité actuelle des controverses technologiques et environnementales ne signifie pas nécessairement que nous sommes à l’aube d’une maîtrise démocratique de la technologie ou d’une ère nouvelle de réflexivité environnementale. Dans les années 1970-2010, au milieu d’une période de haute technophilie (nucléaire civil, informatique, internet et émergence des biotechnologies), nombre de philosophes et de sociologues communiaient dans cet espoir sans réaliser combien l’artificialisation croissante du monde le rendait dérisoire.

Outre le récent discours de Sarkozy, les événements de cet automne en fournissent d’ailleurs une parfaite illustration: la menace d’une récession a immédiatement relégué les mauvaises nouvelles climatiques (pourtant autrement plus graves) aux entrefilets des pages centrales de nos journaux. De la récession actuelle, on aurait pu au moins espérer qu’elle résolve une petite partie de nos soucis climatiques. Mais non. L’intensité en carbone de l’économie augmente. On s’achemine vers une stagnation économique et une croissance des émissions. 2011 a ainsi établi un record dans ce domaine, +6% d’émission en un an. Si on reste à ces niveaux, selon les modèles climatiques ce ne sont pas 2 ou 3°C, mais +6°C qu’il faut anticiper pour 2100. L’apocalypse est devenue un fait divers.

En fait, loin d’être devenues réflexives, nos sociétés fétichisent comme jamais auparavant l’innovation: à propos du climat ou d’économie, elle semble devoir être le seul recours pensable. Que le vocable de progrès ait, de nos jours, perdu de son lustre révèle simplement l’acceptation générale de sa logique: dans les sociétés contemporaines de la connaissance, unanimement tendues vers l’innovation et la maîtrise technique, c’est faute d’ennemi que le progrès a perdu son sens politique.

Jean-Baptiste Fressoz, Imperial College, Londres.

(1) Pour les références voir Jean-Baptiste Fressoz, L’Apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, Le Seuil, février 2012.

01 – 12 – 2011 Par Les invités de Mediapart

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Nucléaire : Besson bat Joly… sur le nombre de mensonges

Nucléaire : Besson bat Joly… sur le nombre de mensonges

Eva Joly, Eric Besson débat France2

Capture d’écran de l’émission « Expliquez-vous » du 30 novembre avec Eva Joly et Eric Besson

Le ministre de l’Industrie Eric Besson et la candidate écolo à la présidentielle Eva Joly se sont écharpés mercredi soir sur i>Télé et Europe 1, chacun rendant coup pour coup aux agressions de l’autre.

A une candidate attaquant sur les « bobards des nucléocrates », le ministre a répondu avec plus de calme, mais pas moins en verve :

« Je suis effrayé par votre rapport aux chiffres, aux faits et à la vérité. Dire que vous avez été juge d’instruction me donne froid dans le dos. »

L’auditeur ou téléspectateur avait de quoi être perdu, baladé entre les chiffres et les exemples. Nous avons vérifié les principaux points du débat sur le nucléaire pour vous aider à ne pas être plongé dans le noir.

1 – « Le nucléaire limite notre dépendance énergétique » (Besson)

 

 

Comme souvent, et comme Sarkozy, le ministre a tendance à confondre électricité et énergie. Or, si le nucléaire fournit les trois quarts de notre électricité, l’électricité ne compte que pour moins d’un quart de notre consommation d’énergie totale… Finalement, rappelle l’expert indépendant Mycle Schneider :

« La France est très dépendante au pétrole, et la consommation de pétrole d’un Français est supérieure à celle d’un Italien, d’un Anglais, d’un Allemand… Le mythe de l’indépendance énergétique grâce au nucléaire ne se retrouve pas dans les chiffres. Rappelons aussi que la France importe des KWh d’Allemagne (selon RTE). »

2- Energies renouvelables : « On n’est pas en retard sur le Grenelle » (Besson)

 

 

Selon l’ancien socialiste Eric Besson :

« On n’est pas en retard sur le Grenelle, on n’est pas à 10% mais à 12,8% d’énergies renouvelables, et on sera à 23% en 2020. La puissance de l’éolien a été multipliée par 4 sous Sarkozy, celle du photovoltaïque par 200. »

Le ministre a carrément sous-évalué la performance de son gouvernement puisque selon RTE, la part des énergies renouvelables dans la consommation nationale est de 14,1%, et que la prévision faite pour 2020 est de 21,3%.

Mais si l’on parle en valeur absolue et non relative, la capacité de la France reste très basse : la France ne compte qu’1 GW en photovoltaïque, contre 4 pour l’Italie, deuxième parc européen après l’Allemagne (toujours selon RTE).

Pour Karine Gavand, chargée de campagne énergie à Greenpeace :

« La première éolienne off-shore en France ne sera pas installée avant 2018, la fin du premier parc complet sera prête 2020… On aura du retard sur tous les principaux pays européens dans ce domaine. Pour l’éolien terrestre, le Grenelle prévoyait de multiplier par cinq la puissance éolienne en 2020, soit 8 000 éoliennes contre 2 500 existantes. Depuis, le gouvernement a signé l’arrêt de mort de l’éolien, sans parler du photovoltaïque tout aussi sinistré. »

3- « Le ménage allemand paie son électricité deux fois plus cher qu’en France » (Besson)

 

 

Pas deux fois plus cher, ni 25% comme lui a répondu Eva Joly, mais 29%, comme l’a rectifié Le JDD.

Certes, le KWh est plus cher en Allemagne, mais les Allemands consomment moins, notamment parce que leurs bâtiments sont moins énergivores.

Mycle Schneider n’a pas oublié la phrase de l’Ademe selon laquelle « trois millions de Français ont froid l’hiver », ce qui veut bien dire que le KWh a beau être moins cher, nombre de gens n’ont pas les moyens de se chauffer.

Le ministre a insisté, comme Nicolas Sarkozy à Tricastin, sur l’importance pour l’industrie d’avoir une électricité pas chère. Si cela était si crucial, remarque Mycle Schneider :

« Pourquoi un tel déficit de la balance commerciale pour la France, et pourquoi un tel excédent pour l’Allemagne ? »

4- « On ne paie pas le démantèlement et les déchets » (Joly)

 

 

La candidate se trompe puisque sur notre facture d’électricité, EDF prélève sur notre facture une part pour le fond de démantèlement… Sauf qu’on est encore incapable de chiffrer ce coût.

Pour l’enfouissement des déchets à vie longue, prévus sur le site de Bure, il en coûterait entre 16 à 35 milliards d’euros, selon les dernières estimations.

Comme le soulignait Benjamin Dessus, le président de Global Chance, le coût du démantèlement est estimé entre 15 et 750 milliards d’euros.

Pour Sophia Majnoni de Greenpeace :

« Le coût du démantèlement est prévu pour coûter 1% du prix de construction des centrales, en gros ça correspond à moins de 500 millions d’euros par réacteur alors que la centrale de Brennilis en cours de démantèlement depuis 25 ans, on en est déjà à plus de 400 millions d’euros, or elle a une puissance de 70 MWh, tandis que les centrales qu’on devra démanteler ont une puissance moyenne de 1 000 MWh.

A l’inverse, le Royaume-Uni a sorti une étude où est évalué le coût du démantèlement à 2,9 milliards d’euros par réacteur… donc plus de cinq fois plus que la France ! »

5- « Le prix du KWh avec l’EPR sera plus cher que l’éolien » (Joly)

 

 

Difficile de connaître le prix du KWh de l’EPR de Flamanville puisqu’il n’est pas terminé et que son coût estimé ne cesse d’augmenter (6,6 milliards d’euros pour l’instant). Il faudrait aussi savoir sur combien de temps l’investissement sera amorti.

D’après les calculs faits à la louche selon le coût estimé de l’EPR et sa puissance, il devrait produire une énergie à environ 75 euros le MWh.

Pour une éolienne, selon l’endroit où elle est installée, le prix du MWh coûtera entre 50 et 100 MWh.

6- « Un Français émet moitié moins de gaz à effet de serre qu’un Allemand » (Besson)

 

 

En pleine conférence de Durban, le sujet est brûlant. Comme Sarkozy s’en est aperçu récemment, le sujet est plus compliqué qu’il n’en a l’air.

Certes l’Allemagne émet plus de gaz à effet de serre mais elle exporte plus, donc il faudrait corriger le chiffre brut de la balance commerciale (ce qui serait défavorable à la France).

Attention aux raccourcis dangereux, avait souligné Yves Marignac, directeur de Wise Paris

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